L’urbanisation des systèmes d’information est encore vue dans les entreprises et les DSI comme un projet complexe, dont les enjeux et objectifs sont peu convaincants et qui nécessite des moyens souvent disproportionnés face aux résultats escomptés… Et dont le ROI n’est pas ou peu mesuré.

Ces projets, souvent très/ trop ambitieux et dont la couverture est souvent très/trop large (ensemble des systèmes d’information opérants dans l’entreprise) sont également déconnectés des finalités auxquels ils doivent répondre : disposer d’informations intègres et packagés pour rendre le meilleur service d’information au client interne et externe, au bon endroit, au bon moment avec un dispositif d’industrialisation, d’organisation et de confiance approprié.

L’urbanisation des systèmes d’infos doit être un outil de promotion de l’architecture des services et déboucher sur des livrables dédiés aux clients et connectés aux catalogues et contrats de service.

C’est pour cela que le concept d’urbanisation de service, dérivé de celui d’urbanisation des Systèmes d’Information, s’affirme aujourd’hui dans le langage des métiers de l’entreprise.

De fait il devient outillé et se montre plus accessible et plus connecté aux autres systèmes de management de l’entreprise.  

Depuis que j’ai goûté aux joies d’un peu d’organisation et de rigueur dans la gestion des services informatiques (et à l’esprit et à la culture de service en général), et que tout naturellement j’ai connu ITIL, j’avoue avoir beaucoup de plaisir à lire Thierry Chamfrault (membre fondateur d’itSMF France) et grand technicien vulgarisateur du sujet (ses exemples et ses métaphores font toujours mouche auprès de mes étudiants…).

Dans son dernier ouvrage (services agiles et gouvernance des SI (Dunod 2011), il traite d’un sujet qui me tient à cœur et sur lequel je travaille en tant qu’enseignant chercheur à l’école de management des systèmes d’Information de Grenoble (EMSI) depuis de nombreuses années : comment passer de l’urbanisation des systèmes d’information (compliqué) à l’urbanisation des services d’information (plus accessible et plus connecté aux métiers de l’entreprise).

Au préalable il me semble logique de rappeler l’objectif primaire de l’urbanisation (1) des SI et d’expliciter les 2 termes « Système d’Information » et « service » (2).  

1. Objectif primaire de l'urbanisation

Le lien entre la couche des processus métier et les 4 autres couches du modèle d’urbanisation du CIGREF (cf schéma 1) vise à combler le fossé qui existe entre les besoins des métiers (dans l’exercice des processus qui visent à fournir des prestations aux clients) et la proposition de services informatiques destinés à aider/ faciliter l’exercice de ces processus métiers. 

Schéma 1 : les 4 couches du POS en urbanisation SI (source CIGREF)

2. Explication des termes « Système d’Information » et « service »

La logique de cette liaison est donc d’améliorer des relations « client-fournisseur » internes et la qualité/ disponibilité des services rendus. Dans ce contexte, le terme Système d’Information semble peu compris par les acteurs des métiers (l’aspect technique rebute autant qu’il fascine… Quoi que !) et est largement assimilé à la mise à disposition de progiciel intégré type ERP ou CRM dont l’utilité, l’efficacité, l’efficience et la popularité peuvent être largement discutés (ce qui ne sera pas le cas dans cet article).

Par contre le mot Service revêt un caractère nettement plus compréhensible par le commun des mortels et représente un terreau de médiation probablement plus productif, tant la notion d’utilité (rendre service) est prépondérante et accessible. 

D’autre part beaucoup de projets de recherche et développement (marketing des services) tournent autour du « design » de nouveaux services, voire de services innovants, largement supportés par les TIC.

Sur ce terrain de la « servuction » (processus de création de service et de compréhension des acteurs (dont le client) et dispositifs techniques entrant dans la composition du service= contraction du mot service et du mot production), beaucoup de « contributeurs » sont déjà « connectés » et n’attendent que la participation active des DSI (Direction des Services d’Information).

Incontestablement l’urbanisation des services vise à comprendre plus facilement et plus directement quels sont les services utiles que nous pouvons nous rendre et qui contribueront, in fine,  à la satisfaction de nos clients. A la différence de l’urbanisation des SI, l’urbanisation des services d’information permet un accès plus direct à la bonne granularité descriptive. Le service, même si il est « composable » induit plus naturellement les notions d’encapsulation et d’unicité, chères aux urbanistes SI.

Mais un peu d’histoire :

Pourquoi urbaniser les systèmes d’information ?

Une étude menée en 2008 par IBM (IBM Global CEO Study) révèle que pour 83 % de dirigeants d’entreprise les changements sont plus rapides, plus complexes et moins prévisibles… Cette tendance ne semblant pas s’inverser de nos jours. Selon cette même étude, le nombre de sociétés constatant un échec ou un succès limité dans leur capacité à faire face aux changements aurait augmenté de 60 % ces deux dernières années.

Ce climat de changement, quasi permanent et difficile à anticiper, se nourrit de nombreux facteurs : une concurrence renforcée qui exige toujours plus de réactivité, la nécessité de se démarquer rapidement par de nouvelles offres et donc de nouveaux services, l’adaptation à de nouvelles technologies, à de nouvelles règles, à de nouvelles lois etc… L’entreprise change aussi sous l’effet de grands projets entrepreneuriaux : fusion/acquisition, réorganisation, etc.

Pour le système d’information, au cœur du fonctionnement et de la production des métiers, sa capacité et sa rapidité d’évolution pour prendre en charge et accompagner les choix stratégiques et de gouvernance de l’entreprise, devient vitale. 

Pour les services, au cœur des transactions avec les clients, on peut noter qu’il en va de même et la maitrise du cycle de vie devient une priorité (au sens de leurs valeurs sur le marché), qu’ils soient IT ou non IT. ITIL V3 montre d’ailleurs la voie et le concept de SKMS (Service Knowledge Management System), qui englobe le portefeuille, le pipeline, le catalogue des services et l’inventaire des services retirés, tout en assurant une traçabilité de toutes ces évolutions.

Or, bon nombre d’entreprises se trouvent confrontées à des systèmes d’information et des catalogues de service, fruits de longs historiques, constitués d’une multitude d’héritages  impliquant parfois des fonctions hétérogènes, souvent non documentées, d’un grand nombre de bases de données parfois redondantes ou dont on a oublié l’existence, de centaines de flux non normalisés, de parcs informatiques et d’applications hétérogènes. S’y ajoutent des pratiques et des méthodes de travail non harmonisées sans parler des dirigeants ayant voulu imprimer leur style, signe de leur passage aux responsabilités. 

Cette complexité du système d’information et des catalogues de service accroît le manque de visibilité sur le fonctionnement et les interdépendances entre systèmes et rend plus difficile l’évaluation des impacts des changements. Les projets d’évolution sont donc plus longs et plus coûteux et la maintenance alourdie.

L’adoption d’une démarche d’urbanisation sera l’occasion de définir des règles et un cadre auquel les acteurs devront se référer pour aborder tout nouveau projet mais aussi pour s’approprier de nouveaux référentiels de bonnes pratiques de gestion où nous venons de noter les convergences possibles entre SI et services.

Sur ce constat, les DSI, favorables à ce genre d’initiatives dans le contexte stratégique actuel (diminution des budgets mais plus d’innovation…) se lancent avec enthousiasme dans ce genre de projet mais s’essouffle rapidement devant l’ampleur des dégâts et la complexité du travail à accomplir (les problématiques de granularité dans l’analyse des données et des informations sont souvent à la source des échecs). 

Depuis plusieurs « écoles » ont vu le jour proposant des approches top down (le DSI impose sur un domaine fonctionnel ciblé, un projet court permettant rapidement d’aboutir), bottom up (l’apparition d’une technologie novatrice, innovante déclenche un chantier d’urbanisation)  ou mixte et privilégiant des approches ciblées donc moins chronophages et plus lisibles dans le temps… Surtout pour les collaborateurs contributeurs. 

Pour en revenir à Thierry chamfrault :

Dans un des chapitres de son dernier livre, Thierry Chamfrault aborde un sujet à mon sens déterminant : 

Comment passer de l’urbanisation des SI (formule complexe) à l’urbanisation des Services d’Information (formule accessible et probablement plus « agile ») ? 

Ce sujet peut à mon sens être vu sous 2 propositions : 

1/ L’urbanisation des services étendus… Pour déterminer, dans son portefeuille de services (au sens d’ITIL V3), quels sont ceux (IT et non IT) qui sont réellement alignés avec la stratégie et les règles de gouvernance, qui font réellement l’objet de maitrise opérationnelle (dont la partie budgétaire) et donc qui auront le plus de chance d’être les mieux industrialisés.<

Cet angle de vue apporte bien sûr une contribution non négligeable à la réalisation d’un catalogue de service (IT et non IT), d’une gouvernance des services et, in fine, d’une organisation adaptée à la production du bon niveau de Qualité dans les services.

2/ L’urbanisation des services d’Information… Comme Thierry Chamfrault le mentionne, les services informatiques sont en train d’évoluer en services d’information (la mise à disposition d’un SMS pour prévenir qu’un incident est clos… Ou que son véhicule en révision chez le garagiste est prêt est une réelle avancée en terme d’utilité).

Plutôt que se fixer des objectifs d’inventaire de fonctions encapsulées accessibles par les processus métier (mais dépendantes des ontologies métiers), pourquoi ne pas lister les services d’Information nécessaires et suffisants, que les métiers « requêtent » de manière récurrente pour remplir leurs missions.

Les 5 couches traditionnelles du modèle d’urbanisation du CIGREF s’en trouvent donc modifié et le modèle suivant pourrait être adopté : A noter que les couches 2 et 3 pourraient être fusionnées. L’intérêt de la 2ème couche est qu’elle devient la couche de médiation entre les métiers de l’informatique et les autres métiers de l’entreprise : « la couche où tout le monde se comprend » et où les besoins sont clairement exprimés.

Schéma 2 : les 5 couches  en urbanisation de service (source Marc PRUNIER (Institut Servicité))

Conclusion :

Dans tous les cas de figure, le concept d’urbanisation est un bon moyen d’induire de l’agilité dans l’évolution et l’adaptation de son Système d’Information ou de son « Système de Service » au marché.

La contrainte majeure est le temps : l’exercice doit donc rester simple,  accessible, bénéfique pour le plus grand nombre et connecté aux grands chantiers qui fourmillent dans l’entreprise et qui doivent trouver une cohérence à la fois en terme de déploiement stratégique et de respect de règles de gouvernance (stratégie et gouvernance de service).

La 2ème contrainte est la granularité d’analyse : l’urbanisation des SI a mené à des cartographies fonctionnelles et techniques illisibles qui ont nuis  à  l’intérêt de leur existence et utilité (l’objectif, qui était de défaire des « plats de spaghetti » a contribué à en recréer sous d’autres formes). Le service, déjà positionné à un bon niveau de description (même s’il est composable), permet des angles d’observation plus parlants pour tous les collaborateurs, qu’ils appartiennent à des domaines techniques ou fonctionnels : il est temps de réconcilier le front et le back office du service !

Et puis la notion de service intègre de manière native la présence du client (qui est lui-même un contributeur) : OUF… quand on voit et quand on comprend clairement le client et ses exigences, tout est toujours plus simple !