Le service client s’impose comme le premier espace de bascule vers l’entreprise agentique. Longtemps cantonnée à des outils d’assistance ou d’automatisation partielle, l’intelligence artificielle y devient désormais un opérateur à part entière, capable d’agir, d’orchestrer et de collaborer avec les équipes humaines. La septième édition du rapport « State of Service » de Salesforce révèle une recomposition profonde du travail de service, des architectures numériques et des équilibres organisationnels.
Le service client concentre aujourd’hui l’ensemble des tensions qui traversent l’entreprise numérique. Les attentes des clients s’intensifient, les volumes de sollicitations augmentent, les ressources humaines se raréfient et les environnements technologiques restent fragmentés. Dans ce contexte, l’IA n’apparaît plus comme une option d’optimisation, mais comme un levier structurel pour maintenir un niveau de service soutenable. L’étude « State of Service » de Salesforce, fondée sur une enquête mondiale auprès de 6 500 professionnels dans quarante pays, et conduite entre avril et juin 2025, ouvre un panorama détaillé de cette mutation. Elle s’appuye sur les retours croisés d’agents de première ligne, de responsables opérationnels et de dirigeants du service.
Le rapport marque une rupture nette avec les éditions précédentes. L’IA n’est plus décrite comme un ensemble de briques expérimentales, mais comme une composante désormais intégrée des opérations de service. Près de sept professionnels sur dix déclarent utiliser au moins une forme d’IA, qu’elle soit prédictive, générative ou agentique. Surtout, 39 % indiquent recourir déjà à des agents IA capables d’exécuter des actions autonomes, et seuls 6 % des décideurs estiment qu’ils n’y auront jamais recours à horizon de cinq ans. Cette projection témoigne d’un consensus inédit sur la trajectoire technologique du service client.
Une division du travail qui se redessine
Cette dynamique s’explique par une pression opérationnelle accrue. Les agents humains consacrent moins de la moitié de leur temps aux interactions directes avec les clients, le reste étant absorbé par des tâches administratives, des recherches d’information ou des obligations internes. Dans un contexte de hausse anticipée des volumes de dossiers, l’IA agentique apparaît comme le seul moyen d’absorber la charge sans dégrader l’expérience. Le service client devient ainsi le premier domaine où l’agentification de l’entreprise passe du discours stratégique à l’exécution industrielle.
L’un des apports majeurs de l’étude réside dans l’analyse fine de la collaboration entre agents humains et agents IA. Contrairement aux craintes initiales, l’IA n’est pas perçue comme un facteur de déclassement, mais comme un levier de spécialisation. Plus de huit agents sur dix estiment que le travail avec l’IA améliore leurs perspectives de carrière et favorise l’acquisition de nouvelles compétences. Les agents IA prennent en charge les demandes simples et répétitives, libérant les équipes humaines pour les situations complexes, ambiguës ou à forte valeur relationnelle.
Cette redistribution des rôles modifie la nature même du métier. Les agents humains interviennent davantage comme superviseurs, experts ou médiateurs, en s’appuyant sur les recommandations et les synthèses produites par l’IA. Les indicateurs déclaratifs montrent une baisse du stress et une augmentation de la satisfaction au travail, à condition que l’IA soit correctement intégrée aux processus. L’efficacité de cette coopération dépend moins de la sophistication algorithmique que de la capacité de l’organisation à orchestrer clairement les interactions entre humains et systèmes autonomes.
L’illusion de l’IA performante sans intégration des données
Le rapport met en évidence un facteur discriminant souvent sous-estimé dans les stratégies IA : l’intégration des données et des outils. Les organisations disposant d’une plateforme unifiée pour leurs canaux de service affichent un taux de réussite des projets IA nettement supérieur. Elles sont 1,4 fois plus nombreuses à qualifier leur déploiement d’IA de « très réussi » que celles fonctionnant avec des systèmes cloisonnés. À l’inverse, près de la moitié des responsables interrogés reconnaissent que les silos technologiques ont retardé ou limité leurs initiatives IA.
Cette corrélation souligne une réalité de marché. L’IA agentique renforce mécaniquement la valeur des plateformes capables de centraliser données, processus et interactions. Sans accès fluide aux historiques clients, aux systèmes transactionnels et aux référentiels métiers, les agents IA restent cantonnés à des usages superficiels. Le service client devient ainsi un révélateur des dépendances architecturales de l’entreprise, et un accélérateur des choix de consolidation technologique.
Conversation, voix et multimodalité, des progrès, mais inégaux
La généralisation des interfaces conversationnelles constitue un autre axe structurant de l’étude. L’IA s’impose progressivement sur la voix, le texte et les interactions multimodales, avec des bénéfices mesurés sur la résolution en libre-service, la réduction des délais et la continuité des échanges. Une large majorité des professionnels équipés d’IA vocale jugent les transitions vers un agent humain fluides et satisfaisantes pour les clients, signe d’une maturité croissante des dispositifs.
Néanmoins, le rapport souligne des marges de progression importantes. La compréhension des émotions, des accents ou des situations complexes reste perfectible. Ces limites rappellent que la conversation automatisée ne relève pas uniquement de la reconnaissance linguistique, mais d’une capacité à interpréter des contextes sociaux et culturels. À ce stade, l’IA améliore l’accessibilité et l’efficacité, sans encore reproduire pleinement la finesse relationnelle attendue dans certaines situations critiques.
Le service sur site, dernier bastion administratif à automatiser
Le volet consacré au service terrain apporte un éclairage complémentaire sur l’impact concret de l’IA agentique. Les techniciens estiment qu’une part significative de leur temps de travail est absorbée par des tâches à faible valeur, comme la planification, la saisie de comptes rendus ou la recherche d’informations. L’IA est perçue comme un moyen direct de réduire cette charge, en automatisant jusqu’à un tiers des activités administratives et en améliorant la productivité globale.
Les responsables du service sur site anticipent des gains mesurables sur l’utilisation des techniciens, la réduction des déplacements inutiles et la disponibilité des équipements. L’adhésion des équipes terrain, souvent plus réticentes aux transformations numériques, constitue ici un signal fort. Elle confirme que l’IA agentique est acceptée lorsqu’elle répond à des irritants opérationnels clairement identifiés et qu’elle restitue du temps métier plutôt qu’elle n’impose de nouvelles contraintes.
Le service client, matrice opérationnelle de l’entreprise agentique
Au-delà des chiffres, le rapport dessine une trajectoire stratégique claire. Le service client devient la matrice opérationnelle de l’entreprise agentique, celle où se combinent agents autonomes, supervision humaine et gouvernance des données. Les bénéfices sont mesurables, qu’il s’agisse de la réduction des coûts, de l’amélioration des délais de traitement ou de la satisfaction client. Mais ces résultats restent conditionnés à des choix structurants en matière d’architecture, de sécurité et de pilotage.
Cette évolution pose enfin une question plus large de gouvernance. En déléguant des actions à des agents IA, les organisations redéfinissent les frontières de la responsabilité et du contrôle. Le service client, longtemps considéré comme une fonction support, devient ainsi un terrain d’apprentissage pour l’ensemble de l’entreprise. Il révèle que l’agentification n’est pas d’abord une affaire de modèles, mais de conception organisationnelle et de maturité collective face à l’autonomie des systèmes numériques.























