Nombreux sont ceux qui aimeraient avoir la réponse à cette question. Si c'était le cas, ils seraient millionnaires et donneraient des conférences un peu partout dans le monde. Car il s'agit d'un problème global et structurel qui touche les entreprises technologiques et les entreprises de nombreux autres secteurs dans pratiquement tous les pays. Cette tribune tentera d’avancer quelques idées qui pourraient aider à identifier les causes du fossé qui existe sur le marché du travail dans le secteur technologique, ainsi que quelques solutions possibles pour y remédier.

Les données sont incontestables. L’Espagne compte, par exemple, actuellement
120 000 postes vacants dans le seul secteur informatique. Des postes qui ne peuvent être pourvus faute de candidats. En Europe, ce décalage entre offre et demande concerne des millions d'emplois. On a besoin, entre autres, d'une légion de spécialistes du cloud computing, de programmeurs, de consultants en logiciels de gestion, d'experts en cybersécurité ou en analyse de données.  

Trois orages

À l'heure actuelle, nous assistons à une « tempête parfaite » où trois zones orageuses se rencontrent.

D'une part, un marché du travail de plus en plus mondialisé permet aux professionnels de travailler pour des entreprises partout dans le monde, souvent depuis leur domicile. Toujours en Espagne, plus de 100 000 informaticiens ont, par exemple, opté pour cette voie depuis 2008 et travaillent pour des entreprises basées en Allemagne, au Royaume-Uni, en Irlande ou en France, là où les salaires sont le double, voire le triple de ceux pratiqués dans leur pays d’origine.

D'autre part, l'intelligence artificielle va modifier le contenu de nombreux emplois et la manière dont ils sont exercés. Et elle créera d'autres emplois pour lesquels il n'y a pas assez de professionnels. L'incertitude est très grande. De fait, le besoin d'ingénieurs sachant interagir avec les systèmes d'intelligence artificielle et leurs algorithmes pour obtenir les meilleures réponses va se multiplier.

Le troisième élément de la tempête sur le marché du travail technologique est le manque de vocation des jeunes. Les nouvelles générations sont de moins en moins attirées par un marché aussi exigeant que le conseil en technologie, une profession souvent liée à des heures de travail interminables et à des horaires imprévisibles.

En conséquence, l'écart entre offre et demande sur le marché de l'emploi technologique joue contre tout le monde. Pour les clients, parce qu'ils ne peuvent pas faire avancer leur processus de numérisation et se battre à armes égales sur les marchés internationaux. Et pour les pays eux-mêmes, parce qu'ils ne peuvent pas se permettre d'avoir des entreprises non compétitives et une faible productivité par employé.  

Quelques remèdes

Jusqu'à présent, le scénario est certainement compliqué. Mais il existe des moyens de s'attaquer au problème. Certaines requièrent le consensus de tous les acteurs et une approche à long terme. D'autres peuvent être mises en œuvre dès demain. Au niveau macroéconomique et des différentes politiques nationales, il convient, par exemple, de soutenir la formation professionnelle en tant que grande pépinière où de nombreuses entreprises trouveront leurs futurs employés. Il a fallu des décennies pour le comprendre, mais il semble que la formation professionnelle sorte enfin de sa marginalisation et commence à cesser d'être le parent pauvre du système éducatif. Et cela se voit dans l'évolution du niveau des inscriptions, où les formations liées à la programmation, à l'administration des systèmes ou à la communication sont parmi les plus demandées. La réussite de pays comme l'Allemagne, où le tissu productif et l'enseignement secondaire sont très étroitement liés, invite à l'optimisme.

Il sera également essentiel d'encourager la collaboration entre les secteurs public et privé, afin d'établir un lien entre les programmes éducatifs (dans les universités et l'enseignement secondaire) et la réalité des entreprises. De ce point de vue, le Pays basque est, par exemple, l'une des références à suivre, avec son modèle de formation professionnelle duale, qui bénéficie d'un taux d'employabilité de 85,6 % et dans lequel les étudiants combinent leurs études avec une activité rémunérée.

Même si la rémunération et les salaires restent décisifs, beaucoup attachent par ailleurs de l'importance à d'autres critères. En ce sens, les pays doivent davantage tirer parti de ce qui fait leur attractivité : climat, habitants, culture, style de vie, gastronomie, villes, etc. Et faire de leurs centres technologiques des points de rayonnement international. C'est possible. Par exemple, Malagaa su devenir aujourd'hui la deuxième meilleure ville au monde pour les nomades numériques, selon l’« Executive Nomad Index » de la société de conseil immobilier Savills.

Les millenials et les centennials sont prêts à donner une chance à un pays, à une région ou à une ville si les conditions offertes par les entreprises technologiques sont favorables. Ils demandent avant tout de la flexibilité pour travailler depuis l'endroit qui leur convient le mieux et pour pouvoir trouver un bon équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Située sur la côte basque, Biarritz est par exemple devenue un fort pôle d’attraction où succès professionnel et épanouissement personnel peuvent cohabiter. Des start-ups de la tech s’y installent, attirant des trentenaires qui, entre tech et surf, ont trouvé l’occasion de combiner qualité de vie et travail de haut niveau. Avec de petits airs de Silicon Valley, cette région des Pyrénées-Atlantiques, cette « West Coast » de l’hexagone, a d’ailleurs été surnommée dès 2013 « la Californie française » par le New York Times.

Afin de retenir les esprits agités et bouillants des jeunes qui rejoindront les entreprises dans les années à venir, il sera également essentiel pour les entreprises technologiques de peaufiner les fameux « plans de carrière » et l'engagement, qui leur permettront d'essayer des outils innovants et de s'attaquer à des projets intéressants, en évitant, autant que possible, les activités répétitives et le travail avec des systèmes obsolètes. Sans oublier les profils plus seniors, qui doivent également être encouragés et devraient être utilisés par les entreprises pour diffuser leurs connaissances, leur culture et leurs valeurs auprès des juniors.  

Vouloir, c’est pouvoir

Un dernier point. D'une manière plus générale, les entreprises devront améliorer leur image de marque en tant qu'employeur. Et cela passe nécessairement par la formulation de projets durables et rentables. Mais la tâche n’est pas facile. Car nous vivons l'une des périodes les plus exigeantes de l'histoire pour les chefs d'entreprise, qui doivent aujourd'hui trouver l'équilibre parfait entre la réponse à l'objectif, à la flexibilité et au plan de carrière de leurs collaborateurs, tout en ne négligeant pas la pression du marché et les exigences des actionnaires. Une mission difficile, mais réalisable. Après tout, « vouloir », n’est-ce pas le début de « pouvoir » ?

Par Maria Jesus Llorente, directrice de la stratégie et des affaires chez Prodware