Historiquement, les entreprises technologiques ont joué un rôle décisif dans la démocratisation de l'informatique, en normalisant les technologies sous forme de produits plus accessibles, plus abordables, et plus faciles à utiliser pour les clients du monde entier. Ceci sans parler du développement de nouveaux cas d’usage, ainsi que des produits, des systèmes d’exploitation et des applications qui les propulsent. Tout cela a été permis par les milliards qu'elles ont investis en recherche et développement et qui culminent actuellement dans l’intelligence artificielle et les machines autonomes. Toutefois, les temps ont changé et avec la maturité viennent les responsabilités. Au cours des vingt dernières années, le rôle des entreprises technologiques dans la conduite de la transformation vers l'économie numérique a suscité de vives critiques et une défiance grandissante. Certains ont fait valoir que ces entreprises ont trop de pouvoir et d'influence, ce qui peut étouffer la concurrence et l'innovation. D'autres se sont inquiétés des conséquences sur la vie privée et la sécurité des quantités massives de données que ces entreprises collectent et traitent. Cette défiance porte un nom désormais, Techlash. Un terme de circonstance, qui signale sans ambiguïté une forte appréhension à l’égard des grandes entreprises technologiques. Travaillée par des courants de pensée qui questionnent la voie empruntée par la société technologique, et passant d’une perspective purement consumériste à une focalisation plus spécifique sur le type de société technologique que nous voulons construire, la société ne considère plus la technologie comme une fin, mais comme un moyen d’améliorer la condition humaine. Le Techlash est la réponse de la société à la marchandisation des êtres humains via une intrusion systématique dans leur vie privée.  

Le rôle des entreprises technologiques est en train d’évoluer

La société a changé. Les jeunes générations ont des attentes bien ancrées et des idées bien arrêtées sur leur relation à la technologie. De nombreuses entreprises ont vu venir cette évolution et ont entamé leur mue pour étalonner leur rôle aux exigences à venir. Les entreprises de la tech n’ont pas le choix, elles devront aussi faire leur transformation sociétale. Dans cette perspective, la société attend d’elles qu'elles intègrent leur responsabilité dans leurs stratégies, même si cela implique de sacrifier les bénéfices à court terme. Les PDG des entreprises technologiques devront, bon gré mal gré, montrer la voie, car le véritable défi qui se pose actuellement est celui de la responsabilité vis-à-vis de la société humaine. Nous avons l'obligation envers la société d'utiliser la technologie pour servir le plus grand bien de l'humanité et non uniquement pour générer des profits.  

Une nouvelle approche collaborative de la législation

Certes, le législateur essaye tant bien que mal de fixer un cadre réglementaire pour éviter les abus, tels que la loi européenne sur les marchés numériques, dans laquelle les législateurs européens ont défini de nouvelles règles qui, espèrent-ils, limiteront la domination des grandes entreprises technologiques. Mais, le chemin est encore long pour policer un domaine enchevêtré avec tous les aspects de la vie quotidienne et qui évolue à grande vitesse, défrichant de nouveaux cas d’usage que la loi ne couvre pas encore. Pressés par les citoyens-consommateurs, le législateur et les entreprises devront travailler de concert pour anticiper les évolutions et y apporter des réponses réglementaires. Au lieu de l'approche réactive du passé, la réponse aux attentes de la prochaine génération verra le rôle des entreprises technologiques évoluer pour devenir des partenaires des décideurs politiques. Elles collaboreront avec les gouvernements pour édicter des lois efficaces qui protègeront les droits humains sans entraver l'innovation. En tant que PDG d'une entreprise technologique, je veux faire plus que m'engager dans une approche qui transfère la charge sur les partenaires et les clients. La meilleure façon d’initier ce mouvement est la mise en place d'une équipe spécialisée dotée d'une charte pour définir la bonne approche et coopérer avec les décideurs politiques, afin de contribuer à l'élaboration d'une législation efficace qui respecte les aspirations de la société.  

Il est urgent d’agir

C'est pourquoi il est important que nous agissions maintenant et n'attendions pas la solution miracle. Dans un premier temps, envisagez de vous engager à respecter les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme (UNGP). Sur la base de ces principes, vous pouvez définir des actions claires pour votre entreprise afin de renforcer votre engagement en faveur d'une technologie responsable, par exemple :  
  • créer un programme d'innovation responsable pour appliquer les principes de la technologie responsable au développement des produits ;
  • former votre organisation commerciale et vos partenaires commerciaux aux principes de la technologie responsable ;
  • incorporer les principes de la technologie responsable dans le processus de diligence raisonnable pour les transactions commerciales.
Le prochain défi technologique est celui de la responsabilité, et c’est maintenant qu’il faut l’intégrer. Car la technologie progresse très rapidement, ce qui fait de cet objectif une cible mouvante plutôt qu’un événement dans l’espace-temps de la transformation numérique. Certes, Rome ne s'est pas faite en un jour, et le temps des actes est venu, car il est urgent d’agir avant que le Techlash ne soit consommé. Par Thomas Jensen, PDG de Milestone Systems