Après avoir bouleversé les moteurs de recherche et la relation client, l’intelligence artificielle conversationnelle s’attaque à un nouveau bastion : la publicité. Au croisement du ciblage comportemental, de la recommandation personnalisée et de l’interaction contextuelle, elle redéfinit les codes d’un secteur structuré depuis des décennies autour de la diffusion de messages standardisés.



Jusqu’ici, la publicité numérique se déployait selon un modèle d’exposition : affichage d’un visuel, lecture d’une vidéo, insertion sponsorisée dans un flux de contenu. Avec l’essor des agents conversationnels, ce paradigme bascule. La publicité devient une interaction. L’utilisateur ne subit plus un message : il le suscite, il l’oriente, il le reformule. Des services comme ChatGPT Shopping, Rufus (Amazon), Sidekick (Shopify) ou les interfaces expérimentales dans les super-apps asiatiques introduisent une nouvelle génération d’intermédiaires publicitaires, dont la mission n’est plus d’interrompre, mais d’accompagner.



Dans ces environnements, l’acte publicitaire se confond avec la réponse générée. Il s’insère dans un dialogue, parfois à la frontière entre le conseil, la recommandation algorithmique et l’expérience de marque. L’agent IA devient alors un prescripteur, un filtre, voire un courtier entre l’offre et la demande. Cette hybridation rebat les cartes pour les entreprises, qui doivent repenser leur manière d’exister dans des environnements où l’enjeu n’est plus la visibilité, mais la pertinence immédiate.

Scénariser l’engagement, orchestrer la conversion

Ce changement de paradigme repose sur trois leviers technologiques : l’analyse comportementale en temps réel, les modèles de langage capables d’adapter un discours à un profil, et les graphes de préférences construits au fil des interactions. Ensemble, ils permettent de composer un message publicitaire individualisé, évolutif et orienté vers l’action. Il ne s’agit plus de pousser un produit, mais de proposer une option, de déclencher une conversion à partir d’un besoin exprimé.



Cette logique impose une scénarisation fine. Pour s’insérer dans ces dialogues, la marque doit concevoir des réponses calibrées, alignées sur ses valeurs, ses promesses et les contraintes réglementaires. Cela implique de développer des bibliothèques conversationnelles, d’entraîner des modèles sur des cas d’usage spécifiques, de simuler des parcours pour éviter les dissonances ou les réponses contre-productives. Plus encore : il faut envisager la publicité comme un service narratif, capable de s’adapter à l’utilisateur comme un conseiller plutôt qu’un vendeur.

Régulation, compétences et gouvernance : les nouveaux impératifs

Cette mutation ne va pas sans risques. Comme l’a montré récemment le cas Taco Bell, une mauvaise intégration de l’IA conversationnelle à des fins marketing peut virer au fiasco : détournement des agents par les utilisateurs, réponses farfelues, image dégradée, et incapacité à reprendre la main. Pour éviter cela, les entreprises doivent développer de nouvelles compétences : modélisation d’intentions, design conversationnel, supervision algorithmique, traçabilité des réponses, et maîtrise des biais implicites dans les systèmes de recommandation.



À ces exigences techniques s’ajoutent des contraintes réglementaires : l’IA publicitaire doit rester identifiable comme telle, respecter le consentement des utilisateurs, ne pas capter de données personnelles hors cadre contractuel, et éviter les manipulations attentionnelles. Les débats actuels autour du RGPD, du Digital Services Act et du futur AI Act laissent entrevoir un renforcement de la régulation dans ce domaine, notamment autour des systèmes dits « à haut risque ». Ce contexte oblige les marques à intégrer très en amont une gouvernance de l’IA publicitaire fondée sur la transparence, la sécurité et la responsabilité.

Vers une publicité utile, fluide et invisible ?

Ce qui se dessine, au-delà des cas particuliers, c’est une tendance de fond : la publicité s’efface derrière la fonction. Là où le marketing visait à capter l’attention, l’agent conversationnel propose de la recentrer sur l’usage. Dans un environnement où l’IA dialogue avec l’utilisateur, propose des options, répond à des objections et adapte sa recommandation en fonction du contexte, la publicité devient un artefact de l’interaction : invisible, mais omniprésente.



Pour les marques, ce déplacement est à la fois une opportunité et une exigence. L’opportunité d’augmenter la conversion en réduisant la friction. L’exigence de revoir en profondeur leur chaîne de valeur publicitaire : contenus, canaux, partenaires, compétences. La publicité conversationnelle n’est pas un gadget. Elle inaugure une nouvelle ère de l’engagement, où la pertinence, la temporalité et la confiance remplacent l’exposition comme critère de performance. Encore faut-il, pour s’y engager, dépasser les effets de mode et les démonstrations spectaculaires. L’enjeu est moins de séduire que de servir.