Alors que l’adoption du télétravail avance, des études montrent que le travail à distance à l’échelle de l’entreprise peut rendre les réseaux de collaboration interne plus statique et cloisonné, avec moins de ponts entre les parties. Résultat, une déperdition d’information est à craindre.
Le débat actuel sur les bénéfices du télétravail et ses inconvénients, aussi bien pour l’entreprise que pour les salariés, n’a pas fini d’agiter les entreprises. Certes, la flexibilité du lieu de travail entre domicile et bureau est susceptible d’avoir une influence positive sur l’entreprise et ses salariés, notamment une plus grande diversité des employés, un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée et des viviers de talents plus importants. Parmi les inconvénients évoqués, le manque d’interactions, l’isolation et la perte des valeurs de l’entreprise figurent en premières places.
Cependant, alors que les entreprises organisent les nouveaux modes de travail hybride, une nouvelle étude, universitaire cette fois, a mis en exergue le risque de perte d’informations. En plus de ne plus baigner dans l’environnement quotidien et bénéficier des informations qui circulent, l'étude, cosignée par le professeur adjoint David Holtz de Berkeley Haas (l’école de commerce de l’Université de Berkeley), a constaté que le travail à domicile conduit les travailleurs à communiquer de manière plus cloisonnée, à avoir moins de conversations en temps réel et à passer moins d’heures en réunion.
Une diminution des connexions
Pour arriver à ces conclusions, les enquêteurs ont étudié le cas des 61 000 employés de Microsoft. Comme la majorité des entreprises, l’éditeur avait mis ses salariés en télétravail obligatoire lors du premier confinement. L’étude repose sur l’analyse des données recueillies avant et après l’imposition du télétravail. Les résultats suggèrent qu’une main-d’œuvre à distance à temps plein peut avoir plus de mal à acquérir et à partager de nouvelles informations, ce qui pourrait avoir des répercussions sur la productivité et l’innovation des travailleurs de l’information à l’avenir.
Le passage au travail à distance à l’échelle de l’entreprise a entraîné une diminution de l’interconnexion des groupes d’affaires au sein de Microsoft. Il a également réduit le nombre de liens permettant de combler les lacunes structurelles du réseau de collaboration informel de l’entreprise, et a amené les individus à passer moins de temps à collaborer avec les liens qui subsistaient. En somme, plus les liens sont distendus moins il y a d’échanges et plus les employés se rabattent sur les rares liens forts qui subsistent. De la sorte, le passage au travail à distance à l’échelle de l’entreprise a amené les employés à passer une plus grande partie de leur temps de collaboration avec leurs liens les plus forts, qui sont mieux adaptés au transfert d’informations, et une plus petite partie de leur temps avec les liens faibles, qui sont plus susceptibles de donner accès à de nouvelles informations.
Ne pas négliger l’efficacité des réseaux humains
Les études ont démontré que les réseaux humains et les liens qui sont tissés entre les individus ont une influence importante sur la réussite des personnes et des organisations. « Pour les individus, il est bénéfique d’avoir accès à des informations nouvelles et non redondantes par le biais de connexions à différentes parties de l’organigramme formel d’une organisation et de connexions à différentes parties du réseau de communication informel d’une organisation », affirme le rapport.
En outre, le fait d’être un canal par lequel ces informations circulent, en comblant ce que les chercheurs appellent les « trous structurels » de l’organisation, peut présenter des avantages supplémentaires pour les individus. Pour les entreprises, il y a un avantage concurrentiel à s’engager avec succès dans la pratique du « transfert de connaissances », dans lequel les expériences d’un groupe de personnes au sein d’une organisation sont transférées et utilisées par un autre groupe de personnes au sein de cette même organisation.
« En fonction de la position ou de la configuration d’un réseau, l’efficacité avec laquelle un lien donné peut transférer ou donner accès à de nouvelles informations dépend de sa force. Deux personnes liées par un lien fort peuvent souvent transférer des informations plus facilement, car elles sont plus susceptibles de partager une perspective commune, de se faire confiance, de coopérer et de déployer des efforts pour s’assurer que les connaissances récemment transférées sont bien comprises et peuvent être utilisées. En revanche, les liens faibles nécessitent moins de temps et d’énergie pour être entretenus et sont plus susceptibles de donner accès à des informations nouvelles et non redondantes », conclut le rapport.