La conjonction des événements qui ont bouleversé le monde ces dernières années est inédite dans l’histoire humaine. Chaque évolution ou avancée technologique (de la maîtrise du feu à la physique quantique) s’est soldée par des changements, parfois des bouleversements, mais pas avec l’ampleur et la profondeur des remises en question qui agitent nos contemporains. La Révolution industrielle a par exemple transformé les structures sociales et économiques, avec le passage d’une économie agraire à une économie industrielle. Une période qui a révolutionné la production et les transports, mais sans remettre en cause les consensus sociaux.
Pour les dirigeants d’entreprise, l’implosion des valeurs communes et l’atomisation de la société humaine, ainsi que la volatilité économique induite par un début de
« déglobalisation » de l’économie mondiale, due à l’instabilité géopolitique, ne font que compliquer le casse-tête de la gouvernance en temps de crise. Car comment piloter une entreprise dans un environnement où l’incertitude est partout ? Les dirigeants doivent faire des choix stratégiques sans avoir une image claire de l’avenir, ce qui augmente le risque d’erreurs stratégiques. Ils doivent trouver un équilibre instable entre réactivité et prudence, souvent avec des informations incomplètes ou qui évoluent rapidement.
L’enjeu géopolitique en tête des préoccupations
La 9ème édition du KPMG CEO Outlook (menée du 15 août au 15 septembre 2023), qui sonde les opinions de plus de 1 300 dirigeants de grandes entreprises internationales (dont 75 dirigeants français), révèle qu’ils demeurent néanmoins confiants dans l’évolution de la conjoncture économique mondiale et sur les perspectives de leur secteur d’activité et de leur entreprise. L’enjeu politique et géopolitique est identifié aujourd’hui comme le défi le plus important pour les entreprises, avec 18 % de répondants. En France, ils sont un peu plus nombreux (24 %) à pointer les relations internationales comme le premier facteur de risque.Sur fond de persistance des conflits et de montée des tensions entre les grands pôles économiques mondiaux, les enjeux liés aux disruptions technologiques font, quant à eux, une percée spectaculaire : ils sont cités par 15 % des répondants (12 % dans le monde), soit un bond de 10 places en un an. C’est nouveau et ça coïncide avec l’avènement spectaculaire de l’IA en 2023, qui a créé un sentiment d’urgence tant la technologie est efficiente d’emblée.
L’IA comme accélérateur de transformation
Selon les analystes de KPMG, ces enjeux numériques « illustrent les interrogations des dirigeants quant aux répercussions de l’IA dans le monde de l’entreprise ». Viennent ensuite ex æquo la politique des taux d’intérêt des banques centrales, la cybersécurité et le risque réputationnel (9 % en France). On notera avec intérêt que pour le reste du monde le troisième sujet d’inquiétude est la chaîne d’approvisionnement (10 %).Face à des défis cumulatifs, les dirigeants doivent faire des choix. Selon l’étude, ils ont pris le parti « d’agir et de s’adapter ». En France, 60 % d’entre eux (contre 64 % dans le monde) ont déjà modifié leur stratégie de croissance pour répondre aux changements économiques et politiques actuels, tandis que 39 % (35 % à l’échelle mondiale) prévoient de le faire dans les trois prochaines années.
Parmi les principaux domaines d’investissement pour l’avenir, on trouve la digitalisation, l’attraction et la rétention des talents, l’amélioration de l’expérience client, la protection du capital face à l’inflation, et la mise en œuvre de politiques ESG (Environnement, Social et Gouvernance). Pas moins de 69 % des dirigeants dans le monde et 75 % des dirigeants français ont pleinement intégré l’ESG dans leurs activités en tant que moyen de création de valeur. En outre, 16 % des dirigeants français considèrent que le développement de l’ESG dans leur entreprise contribuera à attirer la prochaine génération de talents. Ils estiment cependant « qu’il reste des progrès à accomplir pour répondre aux exigences des parties prenantes ».
Améliorer la proposition de valeur pour les employés
Dans le domaine technologique, l’IA est en tête du palmarès des investissements en 2024. Pour près de 7 dirigeants sur 10, en France, ils sont 65 % et 69 % à l’international, l’IA générative est une priorité d’investissement, malgré leurs préoccupations éthiques. Parmi les répondants français, 88 % espèrent un retour sur investissement d’ici cinq ans.Enfin, dans le domaine des relations humaines, « la proposition de valeur pour les employés » devient la seconde priorité opérationnelle des dirigeants français, juste derrière l’accélération de la transformation numérique de leur entreprise. Plus des deux tiers des dirigeants entendent se tourner vers des méthodes de management plus collaboratives et un partage des responsabilités.