La notion de servitisation, si elle n’est pas nouvelle, a pris un essor particulier ces dernières années. Dans un contexte marqué par des périodes d’incertitudes, les acteurs de l’industrie manufacturière accusent le coup, entre crise sanitaire, économique, géopolitique ou encore énergétique. Outre le contexte actuel, ils doivent également se préparer à gérer les conséquences qui en découleront au long cours. Tandis qu’en France la part de l’industrie manufacturière est passée de 14 % à 9 % du PIB entre 2000 et 2021 selon la Banque Mondiale, les entreprises sont contraintes de trouver de nouvelles sources de revenus, mais aussi, et surtout,de s’assurer de leur pérennité sur le long-terme.

La servitisation, ou Equipment as a Service (EaaS), caractérise une profonde mutation du modèle commercial des entreprises de l’industrie manufacturière. D’un modèle qui consistait traditionnellement à vendre un produit, elles basculent progressivement vers un modèle dans lequella fonctionnalitédu produit est au centre de la vente, avec une notion de service et de solution complète. Dans cette nouvelle configuration, où l’usage prend finalement la place du produit, on ne vend plus une imprimante, mais un nombre de copies, on ne vend plus un logiciel, mais du temps d’utilisation, on ne vend plus une voiture, mais des kilomètres à parcourir. Cette évolution contraint les entreprisesà redéfinir leur business model, impliquant de profonds changements de culture et une évolution des processus dans l'ensemble de l’organisation. Cependant, elle leur offre également de nouvelles opportunités de revenus et un facteur de différenciation déterminant face à la concurrence.

Une nouvelle logique de marché

L’essor de la servitisation a donné naissance à un marché secondaire indépendant et banalisé, qui capte désormais une part importante des revenus des Fabricants d'Equipement d'Origine (FEO). De nombreux segments de l'industrie ont ainsi connu une baisse des marges d'actifs ainsi que des volumes de ventes annuels, contraignant les équipementiers à rechercher activement de nouvelles sources de revenu issues d’offres autres que les ventes d'actifs purs.

De leur côté, les entreprises clientes sont de plus en plus nombreuses à exiger explicitement des modèles EaaS. Dans un contexte économique instable, elles sont en effet à la recherche d’une plus juste répartition des risques entre elles et les fabricants, et cherchent à faire évoluer leurs dépenses d'investissement (CapEx) vers les dépenses d'exploitation (OpEx), de manière à accroître leur flexibilité. De plus, la généralisation des technologies telles que l'Internet of Things (IoT), l'intelligence artificielle (IA) ou encore la 5G, permet de partager les données relatives à la performance des actifs et offre ainsi une plus grande transparence sur leur utilisation, ce qui permet aux fabricants de réduire les risques et de garantir une meilleure qualité de service client.

Une entreprise plus prospère, plus durable et plus résiliente

En associant des produits et services, la servitisation permet aux fabricants de générer une valeur bien supérieure à celle créée par chaque entité de façon individuelle. L’EaaS répond ainsi au besoin des FEO en leur offrant une vision très précise de la valeur réelle potentielle de leurs produits, mettant en exergue de nombreux avantages en matière de croissance, de durabilité et de résilience pour l’entreprise.

L’EaaS augmente en effet considérablement les revenus issus de la gestion du cycle de vie du produit, grâce à une plus grande pénétration du marché et une fidélisation de la clientèle sur le long terme. Il est par ailleurs un catalyseur clé dans la transition énergétique et notamment dans l'électrification des méthodes de production, mais aussi dans le développement d'autres initiatives de durabilité telles que l'économie circulaire. Enfin, la servitisation améliore la résilience de l'entreprise en réduisant l'exposition de ses revenus et de ses bénéfices, ainsi que la volatilité de ses flux de trésorerie.

Une étape complexe pour la plupart des organisations

Malgré ces avantages manifestes, le passage à un modèle de servitisation est une étape complexe pour la plupart des organisations. Cela requiert en effet un changement fondamental d'approche, passant d'un modèle basé sur les ventes unitaires de produits à un modèle centré sur la valeur générée tout au long du cycle de vie de ces produits. Or les fabricants ne peuvent pas simplement passer d'un modèle commercial à un autre, et cette évolution implique bien plus que de repenser le parcours client. Les opérations de revenus doivent être capables d’intégrer un modèle hybride associant produit, service et résultat. Le client doit en outre être en mesure de commander, de manière fiable, une ou plusieurs de ces offres dans une configuration ou un devis unique, avec l’assurance que la facturation et l'exécution de son achat refléteront sa commande unique et/ou d'abonnement de départ.

En conséquence, les fabricants doivent pouvoir s’appuyer sur un outil de gestion du cycle de vie des revenus unique et flexible, qui permette aux équipes commerciales d'offrir la bonne solution au bon client avec la bonne marge, sachant que, quelle que soit la solution vendue, le client bénéficiera d'une expérience fluide et satisfaisante.

Garantie, adoption et complexité : trois risques à prendre en compte

Pour l’heure, le nombre d'organisations ayant réussi à déployer et à faire évoluer leur activité EaaS est encore limité, mais quelques pistes peuvent cependant faciliter cette transition. Dans un modèle EaaS, les fabricants assument généralement l'entière responsabilité de la prestation. Cela signifie que les contrats avec une garantie de niveau de service, de résultat ou d'efficacité globale de l'équipement (EGE) peuvent s’avérer très coûteux pour l’entreprise, notamment si des obligations contractuelles ou des garde-fous ne sont pas mis en place pour garantir une utilisation appropriée de l'équipement ou du service.

Il est donc essentiel que l’ensemble des paramètres de coût et de risque liés au service soient clairement identifiés et que la tarification soit établie en conséquence, mais aussi que le niveau de service soit défini dès la création du devis pour garantir une transparence optimale et un risque minimal pour les deux parties. Il convient ensuite de s’assurer de la bonne utilisation de l’équipement, du respect des obligations contractuelles, puis de mesurer la rentabilité de chaque opération tout au long du cycle de vie des services.

La servitisation implique par ailleurs de changer résolument d'état d'esprit, et il est essentiel que les équipes commerciales se sentent à l'aise pour configurer leurs devis et conclure leurs ventes d’EaaS. Une plateforme unifiée, depuis le devis au contrat, facile à utiliser et qui ne nécessite pas de changer de système ou de processus manuels, est indispensable. Si les Fabricants d'Equipement d'Originene sont pas en mesure de fournir une plateforme flexible et unique, permettant aux vendeurs de proposer des solutions hybrides, des produits et/ou des abonnements, ils éprouveront certainement des difficultés à s’approprier et à vendre les nouvelles offres EaaS.

Enfin, la gestion des processus, des équipes et des systèmes inhérents au cycle de vie des revenus devient de plus en plus difficile, une complexité parfois amplifiée par l'EaaS. Les modèles de servitisation fonctionnent généralement de bout en bout sur l'ensemble des capacités et des produits d'un FEO - de l'équipement aux pièces de rechange, en passant par les services de maintenance et le financement. Une transformation réussie nécessite donc de briser les silos fonctionnels établis de longue date et d'intégrer des processus, des données et des systèmes disparates afin de créer une plateforme unique de gestion du cycle de vie des revenus.

En conclusion, si la transition vers un modèle de servitisation est aujourd’hui un enjeu stratégique pour assurer la pérennité de l’industrie manufacturière, elle n’en demeure pas moins complexe. Les fabricants, conscients des avantages significatifs en matière de croissance, de durabilité et de résilience commerciale qu'apporte un modèle EaaS, sont toutefois confrontés à des défis et à des risques importants au fur et à mesure qu'ils font évoluer leurs activités. C’est grâce à une gestion unifiée du cycle de vie des revenus que l'entreprise sera en mesure de répondre aux attentes de ses clients, quelle que soit la combinaison de produits et de services achetés. Dans cette optique, la première étape consistera à évaluer la capacité de l'entreprise à entamer sa transformation à l’instant T. Cela implique d’identifier clairement l’échelle de valeur appropriée, les indicateurs clés de performance et les résultats attendus par toutes les parties prenantes concernées dans les différents services de l’entreprise, puis de définir les étapes clés, les ressources et des échéances nécessaires pour garantir la bonne évolution du projet.

Par Vincent Benoit-Marquié, Directeur avant-vente chez Conga