L’interconnexion croissante de la société actuelle place l’enjeu la souveraineté numérique au cœur des priorités. Que signifie exactement cet enjeu ?
La souveraineté désigne la capacité à contrôler son destin et à maîtriser ou réduire ses dépendances.
En matière de dépendance, il n’est pas question de simplement remplacer une dépendance à un acteur étranger vers une dépendance à un acteur local, mais plutôt de contrôler les dépendances numériques. Dans cette quête d’une souveraineté numérique, de quelle façon le logiciel libre peut-il aider ? Est-ce qu’une stratégie « tout Open Source » - ou « Open Source only » - constitue la seule option possible pour les institutions publiques et les entreprises ?  

La dépendance technologique repose sur un équilibre fragile

A partir du moment où il y a dépendance à une technologie ou à un acteur dominant sur le marché, une vulnérabilité aux décisions et aux évolutions de cet acteur se crée.
Se contenter des solutions françaises ou européennes en excluant celles d’acteurs américains et chinois n'est pas suffisant, car le paysage du marché de l’IT évolue rapidement. Le rachat d'une licorne française par un géant américain entraîne notamment une perte de propriété de son produit. Ainsi, la véritable garantie de souveraineté réside dans la maîtrise des technologies utilisées, plaçant le logiciel libre au cœur de cette quête.

Les logiciels libres, en permettant l'accès au code source, renforcent la flexibilité et permettent un meilleur contrôle. Si les utilisateurs rencontrent un problème avec l’éditeur ou la communauté, ils peuvent, s'ils le souhaitent et s’ils en ont les moyens, personnaliser le logiciel selon leurs besoins. Les libristes, des activistes engagés en faveur du logiciel libre, sont souvent à l’origine des forks de projets pour préserver une version plus libre en cas de changement de licences des logiciels. Ainsi, les logiciels libres se positionnent comme la meilleure garantie pour contrôler l'indépendance numérique.  

Le logiciel libre, un levier d'innovation

La portée du logiciel libre dépasse largement le contrôle des dépendances numériques ; il sert également de catalyseur pour l'innovation technologique. Les logiciels libres créent un terrain propice à l'exploration et au développement d'idées novatrices en offrant un accès complet au code source. Cette transparence favorise l'innovation collaborative, réunissant des communautés de développeurs du monde entier pour améliorer et faire évoluer les logiciels libres. De ce fait, de nombreuses avancées technologiques majeures prolifèrent dans l'écosystème du logiciel libre, dont les avancées guident souvent l’état de l’art.

Par ailleurs, les start-ups et entreprises innovantes utilisent fréquemment des logiciels libres comme bases solides pour la création de nouvelles solutions. Ainsi, le logiciel libre, en plus de garantir la souveraineté numérique, est un moteur d'innovation technologique, stimulant la créativité et propulsant l'avancement de la société dans son ensemble. Il représente un incubateur technologique de premier plan.  

Les enjeux de la souveraineté numérique

Pour la mise en pratique, il faut différencier deux approches distinctes : l'« open source first » et l'« open source only ». La flexibilité étant essentielle, privilégier les solutions libres est crucial lorsque cela est possible, mais celles-ci ne sont pas une solution universelle. Bien qu'elles représentent un moyen concret de contrôler les destins numériques, à l’inverse des solutions dépendantes des géants technologiques, il est parfois nécessaire de s'adapter à certains monopoles. Le dogmatisme n'est pas une réponse fiable.

Afin de renforcer leur souveraineté numérique, les gouvernements et les organisations devraient opter pour une stratégie "open source first". Cela implique de considérer en priorité les solutions libres, ne recourant aux solutions propriétaires que lorsque cela est strictement nécessaire. A l’image de la circulaire Ayrault en France - une note de 2012 portant sur les orientations et recommandations de la Direction interministérielle des systèmes d’information et de communication (DISIC) relatives au bon usage des logiciels libres dans l’administration -, des études et des incitations des pouvoirs publics encouragent l’administration à utiliser du logiciel libre et s’engagent à reverser une partie des économies générées vers la communauté libre.

Si le logiciel libre n’est pas une réponse absolue, il représente probablement la meilleure solution pour garantir la souveraineté numérique. Avec l’adoption d’une approche « open source first », les gouvernements et les organisations peuvent considérablement limiter leur dépendance envers des acteurs étrangers, et être ainsi maîtres de leur destinée numérique.

Par Alain Issarni, Président exécutif chez NumSpot