C’est une expression qui a fait son apparition il y a plusieurs mois : le Web3. S’ajoutant au vocabulaire déjà rocambolesque d’un univers tech en pleine révolution du “Métavers”, il n’est pas forcément simple de comprendre cette expression, et notamment ce qu’elle implique. Pourtant, le Web3 va bouleverser la manière dont le numérique affecte nos vies, remettant en question notamment la toute-puissance des plateformes technologiques internationales, et offrant de nouvelles perspectives potentiellement révolutionnaires.

Le problème du pouvoir d’internet - le Web2

Les plateformes technologiques internationales semblent être toute puissantes et il s’agit là d’un sentiment majoritairement partagé par les acteurs du monde digital. Des décisions prises arbitrairement ont par exemple mis en péril le gagne-pain des créateurs de contenu : ce fut par exemple le cas d’OnlyFans qui envisageait d’interdire les contenus pour adultes, ou encore de la modification des conditions générales de YouTube qui a permis aux géants de placer des publicités sans partager les revenus des publicités avec les créateurs de contenu.

Résultat ? Le Web est devenu un environnement de plus en plus monopolistique, dominé par une petite élite. D’un côté, il permet à quiconque de pouvoir potentiellement atteindre une audience de millions de personnes. De l’autre, il est nécessaire d’abandonner le contrôle de son contenu et de ses données. Les grandes plateformes technologiques s’approprient ainsi la majeure partie des revenus, établissent les règles et les appliquent. Et quand elles ne leur conviennent plus, elles n’hésitent pas à les modifier.

D’après certains experts, l’aspect positif du Web réside dans le fait que des milliards de personnes aient pu avoir accès, gratuitement, à des technologies tout bonnement révolutionnaires. La mauvaise nouvelle est qu’il est devenu très difficile pour les startups, les créateurs de contenu, et d’autres groupes, de développer leur présence sur le Web sans s’inquiéter que des plateformes puissent changer les règles à leur égard, impactant ainsi leurs audiences et leurs profits.

De bonnes intentions, mais une mauvaise approche

L’état actuel du Web – qui est, dans une certaine mesure, le résultat du comportement des principaux acteurs technologiques – a incité les gouvernements à intervenir. Cependant, la plupart des réglementations actuelles ne sont pas adaptées, et certaines d’entre-elles aggravent même la situation au lieu de créer un internet plus équitable.

Par exemple, si l’objectif de la loi sur les services numériques proposée par l’Union Européenne (EU Digital Services Act) est de limiter le pouvoir des grandes entreprises, elle risque au contraire de l’accroître, car les contrôles proposés vont compliquer la tâche des plus petits acteurs.

La solution pourrait résider dans le Web3, car ce dernier s’attaque à ce problème de centralisation au travers de la technologie blockchain. Elle pourrait en effet garantir que les utilisateurs restent maîtres de leurs contenus, et de leurs richesses.

Qu’est-ce que le Web3 ?

Le Web3 est la prochaine évolution d’internet. Au cours de sa première itération (Web1), internet était unidirectionnel. Les propriétaires de sites Web produisaient leur propre contenu, avec peu de possibilités d’interactions en temps réel avec les utilisateurs. En d’autres termes, il était dans la phase de « lecture seule ».

En revanche, dans le Web2 (l’itération actuelle d’internet), les sites Web centralisés agissent comme un support permettant de véhiculer le contenu. Il est alors créé par les utilisateurs qui interagissent les uns avec les autres, induisant une entrée dans la phase de « lecture et d’écriture » d’internet.

Le Web3 va plus loin. Les plateformes sur lesquelles les utilisateurs créent et interagissent dépendent désormais de la blockchain. Ainsi, là où le Web2 est contrôlé par des sociétés privées, le Web3 sera un réseau véritablement ouvert où chaque utilisateur disposera des mêmes moyens de contrôle. En d’autres termes, nous passerons d’une phase de « lecture et d’écriture » à une phase de « lecture, écriture et propriété ». Le Web3 apportera par ailleurs deux changements clés pour les utilisateurs.

Premièrement, la blockchain étant par conception un système décentralisé, aucune entreprise ne peut imposer, modifier ou arbitrer les règles. Au lieu de cela, une série d’équations mathématiques vérifiées par le réseau confirmera si les conditions convenues au préalable ont été remplies.

Deuxièmement, le contenu appartiendra à l’utilisateur qui l’a créé, et non à la plateforme sur laquelle il a été créé/hébergé, détournant les systèmes de monétisation en faveur de l’utilisateur. Alors que YouTube établit ses propres conditions pour la monétisation, sur le Web3, c’est l’utilisateur qui a créé le contenu qui a le contrôle. Et comme les données enregistrées sur la blockchain sont permanentes et immuables, il sera possible de déplacer le contenu – un avatar, un objet dans un jeu ou un NFT - d’un environnement à l’autre sans qu’il perde sa valeur et sans altérer le droit de propriété.

Vers la finance décentralisée

Les grandes plateformes technologiques étant omniprésentes, il est difficile d’imaginer un internet différent. Cependant, le Web3 et la technologie blockchain pourraient en faire un environnement plus libre, équitable et démocratique. Les cryptomonnaies, introduites par le concept de Web3, pourraient également ouvrir la voie vers la finance décentralisée.

Cela dit, pour que ce dernier puisse réellement atteindre une masse critique, les utilisateurs devront avoir accès à de vraies cryptomonnaies : à savoir des pièces réelles et - plus important encore - accessibles, plutôt que d'avoir leurs actifs enfermés dans un portefeuille ou intégrés dans des fonds négociés en bourse (ETF) ou des contrats pour la différence (CFD) traditionnels. Seuls les portefeuilles ouverts permettront aux utilisateurs non seulement de stocker, mais aussi de maximiser le potentiel des cryptomonnaies.

Il va sans dire que si le Web3 promet de permettre aux créateurs de contenu et aux internautes d'interagir avec le système financier d'une manière plus directe et plus transparente, un acteur devra toujours être chargé de la protection des actifs numériques et ainsi faciliter les transactions sécurisées. C'est l'occasion pour les banques numériques et les fintechs de participer à ce marché cryptographique en plein essor, et d'aider le Web3 à atteindre son plein potentiel.

Mais les banques et les fintechs ne doivent pas limiter leurs ambitions à la simple conservation, transfert ou courtage de monnaies fiduciaires et de cryptomonnaies. Ni au simple octroi de prêts. Le Web3 leur offre de nombreuses possibilités d'étendre le champ d'action au-delà des services financiers et d'explorer de nouveaux marchés qui leur permettront de conserver leur pertinence à l'ère numérique. Par exemple, cela pourrait permettre à leurs clients de percevoir des intérêts sur les cryptomonnaies via la finance décentralisée. Il est également possible d’imaginer des collaborations avec des acteurs du monde de la mode, pour que les clients puissent stocker leurs objets de collection numériques préférés dans une application sécurisée.

Le potentiel de la Web3 est quasiment illimité, et va considérablement impacter l’influence que peut avoir le numérique sur notre quotidien. Nous n’en sommes encore qu’aux balbutiements, mais une chose est sûre : le passage vers la Web3 sera au moins aussi retentissant que l’arrivée du Web sous sa première itération dans les années 1990. Reste encore à savoir comment les grandes plateformes technologiques vont anticiper ce changement profond de paradigme.

Par Julian Grigo, Managing Director Digital Assets chez Solarisbank