La crise sanitaire qui va bientôt « fêter » son premier anniversaire a obligé la majeure partie des entreprises a se convertir sans attendre au télétravail. Dans un premier temps, nombre d’entre elles ont simplement équipé leurs collaborateurs d’un poste mobile ou bien leur propre ordinateur de maison est devenu leur outil de travail. Mais cette transition plus ou moins brutale n’était que le prélude à la tendance qui se dessine pour les années à venir, la transformation de la maison en site distant de l’entreprise. Et elle correspond à la définition de l’innovation que je préfère : faire du neuf avec de l’existant.

Ce « bureau à la maison » n’est pas encore la norme et il touche à des sujets délicats, du RGPD à la distinction vie privée/vie professionnelle. Mais il implique pour nous, ESN, d’accompagner le passage de quelques sites centraux à des centaines ou des milliers de sites distants… Au-delà de sa dimension économique ou sociale, cette révolution est un vrai défi technologique et organisationnel, qui fera appel à des techniques connues, notamment celles appliquées aux migrations de flottes, mais dans de nouveaux contextes et à des endroits jamais ouverts avant, la sphère personnelle.

Bien que peu connus du public, la plupart de ces outils existent déjà, mais sont souvent lourds à implanter et donc réservés aux grands comptes. Pour être véritablement déployés, il faudra demain les rendre accessibles à un très grand nombre d’entreprises.

Quatre défis, notamment, devront être relevés :

  • La connexion. Elledoit s’améliorer, car les « débuts » du télétravail ont mis en lumière ce sujet crucial. L’ADSL traditionnel peut vite se révéler un handicap dans le quotidien des collaborateurs passant d’une conférence téléphonique à une autre, partageant écrans et documents et cherchant à reconstruire en ligne la cohésion de travail du bureau. Pour cela, il faut le débit que n’offrent pas toujours l’ADSL et la 4G, alors que la 5G et la fibre sont encore loin d’être généralisées, sans parler des futures 6 ou 7G... L’entreprise amènera chez le collaborateur ces outils du monde professionnel, qui savent gérer les multiples connexions (4 ou 5G + ADSL ou fibre) et choisir, à la mode d’un Waze, le meilleur chemin possible. Telle est la promesse d’une technologie comme le SD-WAN. D’autres outils permettront d’affronter les problèmes de couverture Wi-Fi, quand chaque maison est sujette à une saturation des fréquences. Pour éviter la limite de couverture, l’entreprise apportera son savoir-faire d’ingénierie radio et une démarche construite appliquant les solutions déployées dans les plus grands sites à l’échelle du home-office.
  • La maintenance. Un poste de travail à la maison a peu d’occasions de revenir au bureau pour être mis à jour. Cette nouvelle configuration impliquera donc une démarche de modern management, qui consiste à transposer les méthodes et outils de gestion des périphériques mobiles (tablettes, smartphones...) aux périphériques plus traditionnels (desktops, laptops…). L’ajout ou la mise à jour à distance d’une application, manœuvre encore complexe pour une DSI, s’effectuera grâce aux catalogues applicatifs inspirés des appstores des mobiles, de plus en plus disponibles en version ordinateur.
  • La sécurité. La surveillance et la gestion des accès vont être déportées à la maison, selon les mécanismes déjà appliqués dans l’entreprise… si tant est que celle-ci en dispose. Il faudra ensuite surveiller toutes les attaques, puisque la maison deviendra un point d’entrée sur le réseau. De nouveaux outils, investissements et compétences seront indispensables, et il faudra obligatoirement faire appel au machine-learning et à l’intelligence artificielle. L'User Entity Behavior Analytics (UEBA), l'analyse du comportement des utilisateurs, permet notamment de détecter et prévenir les piratages, qu'ils proviennent de l'extérieur mais surtout de l'intérieur. L’approche traditionnelle de l’analyse après-coup ou de l’analyse de log avec corrélation ne permet pas de détecter qu’un utilisateur se connecte au même moment depuis la maison et sur un autre site. Seule l’analyse comportementale en temps réel le permettra.
  • L’économie d’énergie. Les terminaux mobiles ou les ordinateurs portables et certaines des applications qui tournent dessus sont gourmands en énergie. Coté infrastructures, on voit apparaître de vraies démarches d’économie d’énergie, même si le Wake-on-LAN, un standard des réseaux Ethernet qui permet à un ordinateur d'être démarré ou éteint à distance, n’a pour l’instant pas été déployé à grande échelle. On verra aussi des techniques de mise en veille automatique de bornes Wi-Fi, dont l’intelligence artificielle aura analysé les usages et les périodes de non-utilisation.

Derrière le déploiement qui va progressivement s’opérer, l’enjeu du « bureau à la maison » est la pérennité de la nouvelle infrastructure, la performance des services fournis par l’entreprise et donc la qualité du service rendu au client final, l’utilisateur. N’oublions jamais que ce dernier a rarement les mêmes objectifs que sa DSI ou ses prestataires, et que l’informatique n’est qu’un moyen, pas une finalité. Quand on parle de modern management à une entreprise, elle répond souvent que ses utilisateurs « ne sont pas modernes »…

Même si le télétravail est déjà une réalité, amener le bureau à la maison, déplacer des outils adaptés au monde de l’entreprise au sein de la sphère personnelle, privilégier le confort de l’utilisateur en le débarrassant de la complexité de l’outil IT sont des défis d’une toute autre ampleur. Il faudra plusieurs années pour les relever. Rendez-vous en 2023 pour mesurer le chemin parcouru.

Par Xavier Seringe, directeur Innovation & Technique d’ITS Ibelem