« Aucun d’entre nous n'est plus intelligent que l’ensemble d’entre nous » dit un vieux dicton. Cela s'applique particulièrement à notre époque où les principales activités sont pilotées par les données, et souvent par des données partagées entre plusieurs acteurs. Jamais auparavant nous n'avons eu accès à un tel volume de données, volume qui croît de manière exponentielle puisque nous produirions quelque 2,5 quintillions de données par jour ! De plus, la vitesse à laquelle nous partageons ces données ne fait qu'accélérer. Les informations produites par ces échanges aident les entreprises à fournir de meilleurs services à leurs utilisateurs et ce d'une façon inimaginable il y a à peine 20 ans. Pouvoir exploiter en temps réel les informations produites collectivement a profondément transformé la manière de gérer les activités.
Cela dit, au-delà du fait que ces informations collectives font progresser, ce qui est particulièrement intéressant est que partager ces données avec vos concurrents peut s'avérer un réel avantage pour votre business. Oui, vous avez bien lu, partager avec vos concurrents les données anonymisées et agrégées de votre entreprise peut vous être profitable, renforcer vos offres et vous faire gagner plus de confiance et plus de clients. Laissez-moi vous expliquer.

Partager des données non-propriétaires

Partager de l'information sectorielle avec ses concurrents tout en gardant confidentielles les données relatives à ses propres activités, contrats et affaires peut profiter à l'industrie dans son ensemble. Cela s'est tout particulièrement vérifié pendant la pandémie quand nombre d'entreprises ont peiné à se fournir en équipements individuels de protection. Grâce au partage d'informations, elles ont été même d'identifier des fournisseurs fiables et reconnus en dehors de leurs circuits habituels et de travailler avec eux pour s'approvisionner.
Voici l'exemple d'une banque européenne qui, du fait de l'épidémie de Covid-19, a dû gérer prioritairement sa santé financière et réduire ses coûts. Grâce à des données anonymisées sur ses fournisseurs, la banque a constaté que plusieurs d'entre eux lui envoyaient leurs factures sur papier alors qu'ils émettaient des factures électroniques à leurs autres clients. Cette information lui a permis d'augmenter le volume de factures électroniques de 30 % et de réduire le cycle d'approbation de plus de 70 %. Cela a bien sûr réduit les coûts et amélioré l'efficacité, mais grâce à ces améliorations, la banque était plus à même d'offrir des services de qualité à ses clients.
Un autre exemple est celui d'une société de développement d'effets spéciaux (sons et images) pour le cinéma et les jeux électroniques, récompensée par de nombreux Emmy et Academy Awards. Alors qu'elle était l'une des meilleures entreprises de son secteur, elle a constaté que ses dépenses en conseil en management étaient très importantes. Afin de ramener ces dépenses à un niveau plus acceptable, elle les a comparées à celles de ses homologues. Elle a alors constaté qu'elle avait recours à un nombre de consultants supérieur de 18 % à la moyenne du secteur et trois fois supérieur au nombre moyen de consultants pour une entreprise de sa taille. Forte de ces informations, elle a adapté ses méthodes d'approvisionnement et a pu réduire ces dépenses excessives. Une telle adaptation basée sur des informations partagées illustre combien le partage de données peut avoir un impact direct sur les finances d'une entreprise.
De même, le partage d'informations se révèle d'une grande aide en matière de détection et de suppression des fraudes. Un hôpital pour lequel nous avons travaillé avait recours depuis longtemps à un prestataire pour les examens de radiographie, de scanner et d'IRM. L'hôpital a suspecté un problème avec ce fournisseur lorsqu'il a constaté qu'il était mal noté par les autres hôpitaux. Après avoir étudié les remarques de ses concurrents, l'hôpital s'est rendu compte que les factures émises par ce fournisseur comportaient dix fois plus d'anomalies que les autres, surfacturation ou double facturation entre autres. Ce constat a permis à l'hôpital de mettre fin à son contrat avec ce fournisseur, ce qui s'est traduit par une économie de presque 7 millions d’euros, et de trouver un nouveau fournisseur, mieux noté et moins cher.
Non seulement, partager les informations contribue à établir des normes d'équité pour un secteur, mais cela offre également de nouvelles possibilités. L'analyse de milliards de transactions réalisées par des milliers d'entreprises, associée à de l'intelligence artificielle permettent d'identifier des schémas comportementaux qui aident à résoudre un problème. Il devient possible, par exemple, d'identifier les fournisseurs à risque avant de régler les fraudes internes et d'agir immédiatement. C'est le pouvoir de “l'intelligence collective” d'aider les entreprises à réagir rapidement, à rester agiles en corrigeant en permanence leur trajectoire en fonction des données que leur renvoie le collectif à tout moment.

Partager l'information pour des entreprises plus intelligentes

Malgré les quelques exemples que je viens de citer, il faut reconnaître que le partage d'informations entre entreprises est encore relativement rare. En revanche, nombre de celles qui s'adressent au grand public se servent déjà de données temps réel anonymisées dans leurs processus de décision. Au cours des dernières années, de plus en plus d'entreprises B2C ont demandé à leurs clients de partager leurs données avec elles. Je citerais, par exemple, Google Maps qui exploite les données de ses utilisateurs collectées de manière passive pour évaluer l'état du trafic sur différents axes, ou encore Amazon ou AirBnB qui misent sur les avis déposés par leurs clients pour inciter d'autres clients à acheter en toute confiance.
En général, les clients acceptent de fournir ces données gratuitement, car ils font confiance aux entreprises pour protéger leur confidentialité, cela ne leur demande pas beaucoup d'efforts et ils mesurent la valeur qu'ils peuvent en tirer en retour. Ces raisons sont tout aussi valables pour le partage de données entre entreprises. Si cette pratique s'est répandue dans le B2C, elle apporte autant de valeur aux entreprises B2B, qui ont tout à gagner à partager leurs informations.
Récemment, ces entreprises ont commencé à comprendre qu'en partageant collectivement leurs informations sans compromettre leurs secrets de fabrication ou leurs stratégies marketing, elles aidaient l'industrie dans son ensemble. Et c'est ce type de “collaboration concurrentielle” qui peut faire progresser et transformer tout un secteur économique.

Par Ronan Kerouedan, vice president global value solutions consulting chez Coupa Software