La crise sanitaire a une nouvelle fois mis en lumière la sous-représentation des femmes dans les médias lorsqu’il s’agit de recueillir une parole experte. Les chiffres montrent même que ce phénomène s’est accentué lors de cette crise : le CSA[1] a analysé les prises de paroles sur le sujet de la COVID-19 au premier semestre 2020 et il en résulte que, tous métiers confondus, la part de femmes parmi les experts n’était que de 21%, alors qu’elle atteignait 38% tous sujets confondus pour l’année 2019.Ainsi, parmi les médecins interrogés sur les plateaux TV et autres stations de radio, seules 27% étaient des femmes, alors qu’elles représentent 46% de la profession. Un exemple tristement éloquent, mais un parmi de nombreux autres…

Une représentation médiatique féminine timide, donc, et c’est un euphémisme… Et ce, quand bien même le besoin d’un management aux qualités féminines se concrétise. Car cette période a aussi et surtout mis en lumière les qualités sans précédent d'un leadership au féminin dans la gestion d'une crise. Les pays dirigés par des femmes sont apparus très vite comme des modèles à suivre. On pourrait citer la Nouvelle-Zélande (JacindaArdern), l’Allemagne (Angela Merkel) ou encore Taiwan (TsaiIng-wen). Le choix par le nouveau président des Etats-Unis Joe Biden de Kamalaa Harris comme Vice-présidente en est une nouvelle et forte illustration. Des chercheurs britanniques se sont donc penchés sur la question et ont mené une étude dans194 pays pour déterminer si le genre du chef d’État avait vraiment eu une influence sur la manière de faire face à la pandémie. Résultat : les pays dirigés par des femmes ont obtenu de bien meilleurs résultats, notamment en termes du nombre de décès, lors de la première vague du virus.

Il serait facile, et in fine erroné, de conclure que les femmes sont de meilleures leaders que les hommes. En revanche, ces résultats montrent que la mixité conduit à une confrontation des visions qui ouvre la voie à un déploiement de solutions plus riches et plus complètes que si elles avaient été imaginées par un groupe homogène.

On le constate, la situation a donc tendance à progresser, côté leadership étatique des femmes ; mais qu’en est-il de l’évolution du leadership dans le monde de l’entreprise ? A l'heure où le plafond de verre est toujours bien présent, aussi bien dans les entreprises que dans la sphère politique, la question demeure centrale.

L'entreprise reproduit les stéréotypes formés dès l'enfance

Pour appréhender cette question du leadership en entreprise, il est indispensable de s'interroger sur la construction sociale des individus. Nous sommes toutes et tous façonnés par des représentations qui conditionnent nos postures et nos comportements futurs, et donc potentiellement notre approche du management et des relations humaines. Et cela commence dès le plus jeune âge.

Dans une étude sociologique[2] de référence portant sur les contes pour enfants, Josette Costes a ainsi démontré que là où les jeunes garçons se battent, réfléchissent et prennent des décisions, les jeunes filles sont représentées par des attitudes futiles : elles se regardent dans le miroir, se promènent ou se font séduire, participant ainsi à distiller une représentation genrée dès la plus tendre enfance. Force et détachement d'un côté, émotion et beauté de l'autre. D’un côté, le garçon apprend le courage, la force, l’autorité ; de l’autre, la fille apprend la grâce, la douceur, la finesse, la compréhension. 

Aujourd’hui, force est de constater que cette construction reste encore fortement ancrée dans les discours, et que les hommes comme les femmes sont encore soumis à ces répartitions sociales et culturelles qui les poussentà̀ un certain type de comportement notamment dans la sphère professionnelle.

Dépasser la question des différences et choisir la complémentarité des leaderships

S'il est compliqué d'affirmer avec certitude qu'il existe une différence rationnelle entre un leadership masculin et un leadership féminin, il est impossible de nier que ces perceptions de notre société favorisent un enfermement dans des catégories et des stéréotypes. Ce sont ces représentations que la crise est venue mettre à mal, et c’est cette leçon que nous devons retenir pour repenser l’entreprise de demain. Et le monde futur.

Car la transformation technologique et sociétale accélérée que nous sommes en train de vivre suite à cette crise remet bel et bien en question les fondamentaux traditionnels du leadership. Là où l’imaginaire collectif renvoyait àune figure du leader masculin, fort et solide, les nouvelles pratiques favorisent un autre type de management.

Un management qui prône la résilience.
Un management qui incite au courage.
Un management qui privilégie l’écoute.
Un management qui développe l’empathie.
Un management qui se fonde avant tout sur la collaboration, et qui met en avant la bienveillance et la reconnaissance.

Un management grâce auquel la participation de l’intelligence de tous devient non seulement une force, mais aussi la clé du succès.

Un management qui réponde au désir ardent d’engagement aussi bien de la part des salariés que des partenaires ou des clients, implication qui illustre ce besoin d’avoir desleaders faisant preuvede véritables qualités relationnelles, plus authentiques, qualités reconnues comme étant bien souvent davantage l’apanage des femmes.

Pour autant, il ne faut pas tomber dans le piège d'une comparaison entre un leadership féminin comme seule réponse aux nouvelles problématiques professionnelles ! Faire cela serait retomber exactement dans le même travers de stéréotypisation de nos modes managériales. Il faut louer l'importance de chaque forme de leadership, leur singularité, leur différence, et surtout leur complémentarité.

Car le challenge dans nos sociétés aujourd’hui est bien celui-ci : développer un leadership capable d’allier la recherche de performance et la considération de l'humain, un leadership construit atour de qualités mixtes, comme trait d'union des ressources féminines et masculines, dans leur capacité à se mettre au service de l'entreprise. Pour le bien de toutes. Et de tous.

Par Caroline Elbaz, DRH chez Oracle France


[1] « La crise a conforté la place déséquilibrée des femmes dans les médias » – Le Monde – 24 juin 2020

https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2020/06/24/coronavirus-la-crise-a-conforte-la-place-desequilibree-des-femmes-dans-les-medias_6044058_3236.html

[2]« L’école dispense-t-elle le même enseignement aux filles et aux garçons ? », Intervention à l’iufm d’Albi, 2001. Guillaume Carnino, Pour en finir avec le sexisme, éditions L’échappée, 2005.