Nos politiques semblent découvrir que les services de renseignement américains nous espionnent. Mais ils font bien pire, contre nos entreprises. Une pratique beaucoup plus grave que l'entaille faite à leur amour-propre ! Une tribune en forme de coup de gueule d'Yves Grandmontagne, directeur de la rédaction d'IT Social. Après les nouvelles révélations de WikiLeaks – 6 documents consacrés à l'espionnage économique exercé par les services américains contre la France - nos politiques sont montés au créneau pour dénoncer les pratiques des services de renseignement des agences américaines. Une affaire qui est le révélateur de certaines limites de nos édiles... Souvenez-vous, le nuage radioactif de Tchernobyl s'était arrêté sur le Rhin, la frontière avec l'Allemagne. Lorsque Snowden avait révélé que le téléphone de la Chancelière allemande était espionné par la NSA, peu d'entre nos représentants s'étaient élevés contre cette pratique, la majorité préférant adopter la technique de l'autruche qui consiste à mettre la tête en terre pour ne pas voir ce qui se passe autour de vous. Nous avions soulevé la question à l'époque, pointant l'attitude des personnes qui nous représentent et qui nous gouvernent, alors que tout DSI et responsable de sécurité sait bien que les pratiues d'espionnage en provenance de nos 'amis' sont courantes, et qu'il n'y a pas de frontière pour les espions comme pour les hackers. Mais déjà nous pointions une pratique plus insidieuse, celle des services de renseignement américains au service des entreprises américaines... Et voilà que WikiLeaks révèle des documents attestant que des ministres, des diplomates, des parlementaires français ont été espionnés. Révèle surtout que nos entreprises ont été espionnées (et le sont encore probablement) et que les renseignements obtenus sont fournis aux entreprises américaines concurrentes. Le seul 'point de détail' oublié dans cette affaire, c'est que ces pratiques sont connues depuis longtemps, mais que pour des raisons obscures, qui touchent certainement à leur égo et à leur volonté de ne pas heurter nos amis d'outre Atlantique, nos officiels se croyaient à l'abri ! C'est l'effet Tchernobyl généralisé à l'espionnage américain, nous sommes tous au courant, mais chut, nos représentants n'y croient pas... L'administration américaine, par l'intermédiaire de ses services secrets – mais également leurs homologues de Grande Bretagne, Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, et probablement d'Allemagne - ont espionné (les documents fournis par WikiLeaks concernent les années 2002 à 2012) massivement l'écosystème économique français. Ils écoutaient (écoutent encore...) toutes nos entreprises en négociation sur des contrats qui dépassent 200 millions de dollars, et sur des secteurs stratégiques : télécoms, électricité, pétrole, gaz, nucléaire, santé, biotechnologies… Et ils offraient un accès à ces renseignements aux entreprises américaines et des pays associés en concurrence avec nos entreprises. Autant de renseignements qui ont du peser lourdement sur le business de nos entreprises, et qui jettent une ombre sur la réussite de leurs concurrentes… même si ces pratiques nous étaient connues mais demeuraient cachées. Toujours bien informées, et pour cause, les entreprises américaines disposaient de renseignements suffisants pour remporter des marchés, ou détourner les acheteurs des entreprises françaises, ou encore pour orienter l'attention des régulateurs sur des pratiques commerciales qui ont entrainé des condamnations d'entreprises françaises, alors qu'elles mêmes les pratiquent. Il se pourrait également qu'elles aient pesé dans la déliquescence de certaines de nos grandes entreprises, qui ont fini par passer sous la bannière étoilée, on pense récemment à Alcatel et Alstom. Ou encore à General Electric qui n'a jamais été victime d'une condamnation pour corruption... Ces pratiques sont condamnables, certes, mais que nos édiles s'élèvent aujourd'hui seulement contre elles a de quoi mettre nos entreprises dans une légitime colère. Et si WikiLeaks n'avait pas publié ces documents… ils auraient certainement continué à jouer l'autruche, tandis que tout le monde est au courant ! Voilà le pourquoi de notre coup de gueule. Faut-il pour autant rejeter sur nos 'partenaires' occidentaux la responsabilité de la déliquescence de notre industrie ? Les espions américains y ont certainement contribué, et y contribueront encore, relayés par leurs homologues britanniques ou allemands. Cependant le raccourci est un peu grossier, et le mal qui nous ronge plus profond. Restons vigilants, et prudents sur le discours de nos édiles...