Les maîtres de la donnée savent comment tirer des renseignements utiles et rentables de leurs données. En mettant en œuvre l’exploitation de la donnée, ils ont déclenché des mécanismes endogènes vertueux pour leurs activités. Mais quels sont ces mécanismes à l’œuvre ?

La « data driven economy » ou l’économie axée sur la donnée n’est que le prolongement logique de la révolution informatique de la seconde moitié du 20e siècle. La transformation numérique de la société et des entreprises débouche logiquement sur une société de l’information. Une information qui est le résultat des processus de contextualisation et d’exploitation de la donnée. Les mécanismes déclenchés par une telle exploitation sont tellement efficaces qu’ils ont donné des avantages exorbitants à certaines firmes privées.  

Dans un article datant de 2018, le groupe de réflexion CIGI (Centre for International Governance Innovation) expliquait les mécanismes à l’œuvre dans une économie « dataifiée ». Il constate d’abord que le mouvement de création de la donnée est consubstantiel à l’activité humaine et à celle des machines. « La transformation numérique, explique l’article, crée un nouveau type d’économie basé sur la “dataification” de pratiquement tous les aspects de l’activité sociale, politique et économique humaine, grâce aux informations générées par la myriade de routines quotidiennes des individus et des machines connectés numériquement ». Le mécanisme qui se met alors en marche, une fois maîtrisé et mis en œuvre, mène inéluctablement à l’économie basée sur la donnée et les avantages concurrentiels qui en découlent.

Des mécanismes endogènes de croissance

Comme l’exprime l’article précité « l’économie de cette nouvelle économie basée sur les données peut être située dans des modèles théoriques de croissance endogène, expliqués par des théories comme la recherche et le développement (Römer 1990), la formation du capital humain (Lucas 1988) et la destruction créative schumpétérienne par le vol de business (Aghion et Howitt 1992) comme moteurs de la croissance économique, ainsi que les externalités positives liées aux retombées des connaissances locales ». En clair, la donnée, sa génération et son exploitation relèvent de mécanismes de croissance endogènes structurants, qui déclenchent inéluctablement des cycles vertueux.

Mais les caractéristiques structurelles du modèle basé sur la donnée en font un cas à part, voire « un modèle tout à fait nouveau », selon le CIGI. C’est ce qui permet aux entreprises qui mettent en œuvre ce mécanisme de surpasser la concurrence. Une de ces caractéristiques structurelles est l’asymétrie, ou la capacité des uns à exploiter la donnée par rapport à ceux qui en sont incapables. Et qui est à l’origine du fossé entre le connaissant et le non connaissant. Compte tenu des investissements importants requis pour exploiter le big data, l’asymétrie de l’information s’applique également aux entreprises. Et du point de vue de la fracture numérique, elle s’applique aussi aux nations.

Ce cadre théorique permet de différencier les taux de croissance des différents pays en fonction de leurs politiques de soutien à l’innovation, telles que les subventions à la R&D et à l’éducation pour exploiter les savoirs, mais aussi l’ouverture au commerce pour accéder aux développements technologiques générés ailleurs. « Il permet également à l’innovation de générer un pouvoir de marché et des rentes de monopole, car, explique CIGI, même si le savoir est non exclusif (c’est-à-dire qu’il peut être utilisé simultanément par de nombreux agents sans nuire à son utilité), il l’est au moins partiellement, c’est-à-dire que les entreprises innovantes peuvent restreindre l’accès aux caractéristiques nouvelles de leurs inventions ». D’où les monopoles exorbitants de certains acteurs mondiaux.

Les organisations ont encore du chemin à parcourir

Du fait de cette asymétrie, dont les causes sont multiples et prendraient des volumes entiers, la disparité entre les entreprises ne peut que se creuser si rien n’est fait pour la combler. Dans son dernier rapport, L’entreprise à base de données : Pourquoi les organisations doivent renforcer leur maîtrise des données, l’Institut de recherche Capgemini constate que « les organisations ont encore du chemin à parcourir en matière de prise de décision et d’action basées sur les données, avec seulement 39 % d’entre elles qui ont réussi à transformer les connaissances basées sur les données en un avantage concurrentiel durable ».

Les chercheurs de Capgemini expliquent cette situation par le fait que seuls 20 % des dirigeants d’entreprise font confiance à leurs données, souvent parce qu’elles sont de mauvaise qualité. Cependant, la petite minorité qui le fait bénéficie d’un avantage de performance significatif par rapport au reste, avec une rentabilité supérieure de 22 % et un revenu par employé supérieur de 70 %. Ce sont les « maîtres des données ».

Ainsi, ils sont capables de transformer les données et les idées en actions parce qu’ils disposent de l’infrastructure, de la gouvernance et des opérations nécessaires. En outre, ils savent comment exploiter les données externes et améliorer leurs connaissances, ce qui leur est très utile. En somme, ils ont mis en marche les mécanismes vertueux de la « dataification » de leur activité.