Les temps économiques actuels sont illisibles, même pour les plus chevronnés des économistes. Toutefois, le marché des cessions-acquisitions n’a jamais été aussi prometteur. Quatre tendances se dégagent en 2022.
La pandémie n’a fait qu’accentuer une tendance au dérèglement qui remonte à la dernière crise économique, celle dite des « subprimes » ou des « junk bond » selon où l’on se place. En clair, ce que l’orthodoxie de la mécanique économique considérait comme des dogmes indéracinables a volé en éclats et plus personne n’est capable de faire des prédictions fiables.
Ainsi, malgré les accès de fièvre sporadiques et les confinements ciblés en Chine, malgré l’inflation qui grève les bénéfices et menace d’enclencher la boucle inflationniste prix/salaires, malgré les pénuries de composants et de matières premières, malgré les incertitudes des guerres, larvées, économiques ou déclarées, les entreprises continuent leurs investissements, y compris et surtout dans les technologies. Une situation qui a permis de soutenir le secteur aux périodes les plus sombres de la crise et qui est à l’origine d’un mouvement de consolidation qui a été record en 2021 et qui devrait continuer en 2022.
En effet, D’après une étude réalisée par In Extenso Finance et Transmission, au cours d’une année 2021 marquée tant par une forte reprise d’activité que par un effet de rattrapage par rapport à 2020 (fortement perturbée par la crise sanitaire) 1 172 opérations ont été recensées en France. Le volume des transactions a augmenté de 41,4% en 2021 par rapport à l’année 2020, proche du niveau record observé en 2019 (1 300). Le marché des cessions-acquisitions du secteur Technologies, Médias et Télécommunications (TMT) prend la tête du classement en termes de nombre d’opérations réalisées sur le segment de valorisation de 1 à 50 M€ (329 opérations). Ceci se passe en France, mais il reflète fidèlement ce qui se passe dans les principales régions économiques mondiales.
Un secteur extrêmement fragmenté
Il est vrai que dans le secteur des entreprises technologiques, principalement dans le logiciel, le marché est extrêmement fragmenté. Une multitude de petites entreprises qui réalisent entre 2 et 5 millions de chiffre d’affaires occupent des milliers de niches avec des bouts de solutions et qui n’arrivent pas à croître, faute d’investissements ou par défaut de structuration. C’est ce qui les rend attractives pour les investisseurs et les entreprises plus grosses afin de compléter leur portefeuille d’acquisition pour les premières et leur portefeuille de produits pour les secondes.
In Extenso Finance et Transmission, le spécialiste de l’accompagnement des entreprises dans leurs opérations de cession-transmission, indique que quatre grandes tendances structurent le marché français des cessions-acquisitions. La première, et nous venons de l’évoquer, est la fragmentation du marché et la multitude de petites structures qui ont développé des solutions technologiques d’excellente qualité. Des entreprises qui ont généralement du succès, même local, mais qui ne disposent pas de la trésorerie nécessaire pour investir et se développer.
Deux profils d’acheteurs : les hybrides et les licornes
La seconde tendance voit l’émergence de deux types d’acquéreurs : les hybrides, ou investisseurs de long terme, et les licornes. Les premiers sont dits hybrides, car ils investissent sur le très long terme. C’est le cas de Constellation Software, mi-fonds d’investissement, mi-corporate et dont le modèle économique est d’acheter des éditeurs de logiciels et de ne jamais les revendre. Leur objectif est de les aligner sur un standard de performance en termes d’ARR (AnnualRecurring Revenue) et de rentabilité d’EBITDA.
Ces sociétés ont besoin de grandir et de déployer leur capital par le biais de nouvelles acquisitions. Quant aux licornes, elles ont opéré des levées de fonds conséquentes et disposent de la puissance financière pour mener des acquisitions. Elles sont généralement à la recherche de « build-ups ». Ces licornes sont vouées à grandir puisque l’objet même de leurs levées massives de capitaux vise à consolider leurs marchés respectifs.
Les entreprises au modèle SaaS sont les plus recherchées
La troisième tendance est l’appétence des acheteurs pour les entreprises dont les revenus sont récurrents, car ils reposent sur un modèle économique SaaS. Elles intéressent tout particulièrement les investisseurs, car ce modèle se montre très résilient et permet de donner de la visibilité sur l’avenir (pour illustrer, une entreprise change en moyenne de logiciel ERP une fois tous les 10 ans).
Il permet en outre de créer des produits et services sous-jacents ou complémentaires (hébergement Cloud, sécurité informatique, conseil, etc.), ce qui contribue à une augmentation des budgets IT dans les entreprises et chez les particuliers. Ce modèle est, par conséquent, très profitable, le taux d’EBITDA des éditeurs de logiciel oscillant entre 25 et 35 % du chiffre d’affaires.
Enfin, ultime tendance : les entreprises du secteur de l’IT disposent d’une abondance de cash, ce qui leur permet de miser sur les acquisitions, qui se révèlent souvent moins risquées que de miser sur la croissance organique pour atteindre la taille critique. En somme, le marché repose sur un paradoxe qui s’autoalimente : il reste dynamique malgré l’environnement économico-socio-géostratégique instable, voire dégradé, car les entreprises ont besoin de technologie pour faire face à cette incertitude. Et tant que leurs besoins coïncident avec les impératifs de modernisation et d'agilité pour être plus compétitives et résilientes, le mouvement de concentration n'est pas près de faiblir.