Le secteur financier utilise depuis plusieurs décennies déjà les outils d’analyses avancées. Grâce aux innovations apportées par les solutions soutenues par l’IA, le service client, l’efficacité opérationnelle et la résilience sont considérablement améliorés. Pour cela, il est essentiel d’obtenir des cadres et des plateformes à la fois standardisées et cohérentes.

Deux défis marquent le secteur financier : celui d’un environnement macroéconomique mondial menacé d’un risque de défaut de paiement dans un contexte de stagnation de la croissance mondiale ; et celui de l’impératif de modernisation, qui pèse sur les institutions financières qui doivent gagner en efficacité, améliorer leur service client, réduire les risques, lutter contre la criminalité financière, aborder la question de la durabilité et procéder à des changements réglementaires. Pour répondre à ces objectifs majeurs, l’IA apparaît comme une solution clé.

Moderniser de façon résiliente, grâce à l’IA

Le recours aux technologies d’IA par les acteurs du secteur financier n’est pas nouveau, avec notamment les chatbots interactifs dédiés au service client, dans l’analyse de documents ou dans l’identification d’anomalies dans les transactions de paiement pour la détection des fraudes, ou encore l’IA prédictive (en particulier les solutions basées sur le Machine Learning) utilisée par les banques pour automatiser et rationaliser les processus. Il est également possible d’améliorer, grâce à l’IA générative, les capacités de nombreuses applications existantes, y compris dans le cadre d’enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Pour illustrer cette idée, on peut se référer au projet Gaia de la BRI, qui a permis d’automatiser l’extraction et l’analyse des données ESG des entreprises pour aboutir plus de transparence et d’efficacité dans l’évaluation du risque climatique.

Un défi majeur demeure pour les banques centrales et les autorités de régulation : celui d’assurer la stabilité du système financier mondial. Les réglementations évoluent pour évaluer les risques systémiques potentiels, comme les risques de concentration dans le cloud, l’utilisation de l’IA, le changement climatique et les futurs risques corrélés émergeant d’un système financier mondial en constante évolution.

L’IA va permettre de soutenir l’efficacité et la résilience du secteur en étant appliquée à l’automatisation des processus. Les institutions peuvent par exemple s’appuyer sur l’automatisation event-driven soutenue par l’IA pour répondre aux exigences de portabilité des applications pour les technologies d’information et de communication (TIC) critiques tierces. DORA (Digital Operational Resilience Act), la réglementation mise en place par l’Union européenne, exige d’ailleurs d’elles qu’elles en aient la capacité.

Les applications héritées, notamment celles des systèmes bancaires centraux, doivent être modernisées en priorité, pour gagner en agilité. Certains workloads seront déplacés vers le cloud (ou deviendront cloud natives pour être capables de suivre le rythme de développement actuel et gagner en portabilité pour pouvoir fonctionner dans des environnements cloud selon les besoins), tandis que les plateformes centrales continueront d’être utilisées par certaines applications.

Le processus de replatforming ou de réécriture des logiciels peut toutefois s’avérer complexe et coûteux. L’IA générative peut apporter son aide, en développant les logiciels dans plusieurs langages de programmation, ou aidant à reconvertir des équipes informatiques grâce à des assistants de codage capables de prendre en charge un plus large volume de tâches basiques. Enfin, il est possible d’optimiser les environnements où les applications sont déployées, en s’appuyant sur l’IA, tout en intégrant certains défis comme les mesures de durabilité, l’efficacité opérationnelle et les préoccupations
liées aux coûts.

Les équipes opérationnelles et de service profitent aussi de l’IA, qui permet aux assistants alimentés par l’IA de traiter des demandes et de répondre à des problématiques client bien plus complexes. En outre, les rapports financiers dans le secteur bancaire peuvent être rationalisés, en automatisant l’agrégation et l’analyse de données pour obtenir des rapports plus précis dans les meilleurs délais.

Grâce à l’IA, une banque pourrait savoir gérer les risques issus de chocs macroéconomiques externes à court terme ou même de vrais changements à plus long terme, à l’instar du changement climatique. Pour cela, il faut pouvoir s’appuyer sur de vastes ensembles de données qui partagent de nouvelles perspectives pour améliorer les capacités de prédiction.

Tirer profit des données synthétiques

En plus de permettre une prise de décision plus rapide dans certaines situations, l’IA peut également améliorer les possibilités de nombreuses applications. Encore faut-il qu’elle puisse s’appuyer sur des données de haute qualité, denrée qui peut venir à manquer pour certaines institutions, dans un contexte où les données sont silotées par les exigences réglementaires de plus en plus strictes, en matière de confidentialité des données, de propriété intellectuelle et de souveraineté des données.

Grâce à l’IA et à la création de « données synthétiques », il est heureusement possible de pallier ce manque de sources de données adaptées et de haute qualité, en reproduisant des sources de données existantes mais rendues anonymes pour respecter la confidentialité et la simplification du partage de données. En créant des sources de données synthétiques plus robustes, l’IA peut aider certaines applications à outrepasser les limites des données purement historiques pour développer des perspectives plus pertinentes sur d’éventuelles situations émergentes.

Les données synthétiques sont parfaitement adaptées à l’enjeu de la criminalité financière. En effet, la précision prédictive d’un modèle de Machine Learning ou d’IA, construit à partir d’un ensemble de données contenant un nombre limité de cas d’un certain type de crime financier, peut-être moins précise que souhaité, lorsqu’il s’agit de saisir différentes variations de ce type de crime que ne proposent pas les données disponibles.

Le modèle peut devenir plus robuste et anticiper les menaces si les simulations basées sur l’IA génèrent des centaines de milliers ou de millions de scénarios synthétiques, fournissant un système de détection potentiellement plus robuste qui peut être validé par des inspections sur les nouvelles variations probables d’un certain type de crime financier. La détection de fraude sera plus efficace grâce aux données synthétiques générées par l’IA. En outre, les modèles de réseaux antagonistes génératifs (GAN) et les simulations de modèles basés sur des agents (ABM) constituent deux approches de l’IA utilisées pour ces types de cas d’utilisation.

L’IA explicable, un défi

L’un des objectifs autour de l’IA est de donner à ses modèles plus de résilience et de fiabilité. Un vrai travail de recherche au niveau mondial est mené dans le domaine de l’IA explicable (XAI), dont l’objectif est d’élaborer des cadres rendant la prise de décision par l’IA plus transparente et responsable, afin d’avoir une meilleure fiabilité et prise de décision, ainsi qu’un plus grand respect des règlementations en vigueur.

Pour appliquer ces cadres développés par XAI trois points peuvent poser problème : les solutions de boîte noire en raison de la complexité des modèles, les limites posées par un accès plus large aux données pour l’analyse des modèles en raison de la confidentialité des données, et un paysage réglementaire de l’IA en rapide et constante évolution.

L’un des premiers efforts concrets pour établir un cadre réglementaire complet pour les systèmes d’IA tient à la récente initiative AI Act adoptée par l’Union européenne, qui applique une approche fondée sur le risque : plus le niveau de risque est élevé, plus les réglementations liées à l’IA sont strictes. Plusieurs critères doivent être remplis par les systèmes d’IA à haut risque, dont l’explicabilité et la documentation, la gouvernance des processus basés sur l’IA, la gouvernance des données, la surveillance humaine, la gestion des risques et l’auditabilité. À mesure que des cadres réglementaires similaires axés sur l’IA seront mis en place dans d’autres régions et pays, il faudra garantir un certain degré de cohérence réglementaire mondiale fondée sur le risque afin d’encourager l’innovation continue en matière de capacités et de solutions d’IA.

Il est indispensable de mettre en place des équipes, des solutions et des processus adaptés pour espérer bénéficier des possibilités presque illimitées de l’IA. Comme de nombreux dirigeants d’entreprise envisagent d’adopter une stratégie de cloud hybride prise en charge par une plateforme commune et une couche d’automatisation afin de leur garantir davantage de liberté et de flexibilité, la même chose s’applique dans le cadre de l’IA. Les équipes de l’entreprise doivent pouvoir profiter d’une expérience cohérente et centralisée lors de la formation, de la maintenance, de la mise au point et du déploiement de modèles d’IA en production. Il convient également de privilégier un environnement holistique plutôt que siloté, pour éviter d’avoir trop de points de défaillance et réussir à normaliser les tests et la validation pour répondre aux exigences de contrôle et de transparence fondamentales, et ainsi obtenir les approbations réglementaires et faire évoluer l’IA.

Par Richard Harmon, vice president and global head of financial services at Red Hat