En dévoilant Agentforce IT Service, Salesforce rompt avec son ADN initial de gestion de la relation client pour se positionner sur le marché stratégique de la gestion des services informatiques. Un changement d’orbite qui préfigure une plateforme unifiée pilotée par des agents conversationnels IA.

La transformation numérique des entreprises ne se limite plus aux fonctions commerciales ou à la gestion client. Les services informatiques, longtemps confinés au rôle de support, deviennent eux aussi des leviers d’efficacité, d’automatisation et de gouvernance. En lançant Agentforce IT Service, Salesforce affirme sa volonté d’intégrer ces fonctions critiques à son écosystème d’automatisation conversationnelle. Ce choix stratégique dépasse la simple extension fonctionnelle. Il marque une rupture dans le positionnement de l’éditeur : de fournisseur de CRM, Salesforce devient un acteur transversal des environnements numériques d’entreprise, capable de fédérer RH, métiers et IT autour de ses agents intelligents.

Avec Agentforce IT Service, Salesforce ne se contente pas d’ajouter une brique de support à ses produits. Il introduit une plateforme complète d’ITSM automatisé, conçue pour résoudre en langage naturel les problèmes informatiques les plus courants. Accessible depuis Slack, Teams ou portail web, l’agent IA interagit avec l’utilisateur, identifie l’origine de l’incident, propose des correctifs, ouvre des tickets si nécessaire, ou exécute des flux de résolution automatisés. L’objectif est clair : réduire les coûts opérationnels tout en améliorant l’expérience collaborateur, dans un contexte où les interruptions de service pèsent lourd sur la productivité. Selon les chiffres avancés, les employés perdraient en moyenne 4 352 heures par an à cause de dysfonctionnements informatiques récurrents.

Un positionnement offensif face aux poids lourds de l’ITSM

La plateforme s’appuie sur une base de données de configuration centralisée (CMDB), un moteur de règles automatisées, une gestion de la connaissance, ainsi que plus de 100 connecteurs avec les outils les plus utilisés (Microsoft, Google, Zoom, Cisco…). Elle couvre la plupart des cas d’usage du support IT de premier niveau : réinitialisation de mot de passe, dysfonctionnement d’une imprimante, accès VPN, déploiement logiciel, gestion des actifs numériques. Cette capacité d’action directe, sans rupture contextuelle, est au cœur de la promesse d’Agentforce : automatiser jusqu’à 80 % des demandes IT d’ici 2029, selon une projection alignée sur les analyses de Gartner.

Le virage engagé par Salesforce le place frontalement face aux acteurs historiques de l’ITSM. ServiceNow, leader incontesté du secteur, Freshservice, Ivanti ou BMC sont autant de concurrents bien ancrés, disposant d’une large base installée et d’une expertise éprouvée dans la gestion des opérations informatiques. Pourtant, Salesforce joue une carte différenciante : celle de la convergence. Là où les plateformes spécialisées restent centrées sur les flux IT, Agentforce s’insère dans une logique plus globale, orchestrée par Einstein Copilot et Flow, et dopée à l’automatisation intelligente des processus métier, RH et IT. Ce positionnement pourrait séduire les directions informatiques cherchant à sortir d’un empilement de silos fonctionnels au profit d’une expérience utilisateur unifiée.

Salesforce revendique par ailleurs un avantage technologique lié à l’intégration native de ses composants : unification des identifiants et des rôles, centralisation des données contextuelles, orchestration de flux sans rupture entre les différents modules cloud. Cette approche limite les coûts d’implémentation, réduit la dette technique, et facilite le déploiement à grande échelle. De plus, l’utilisation d’une interface conversationnelle, déjà familière aux collaborateurs via Slack ou Teams, renforce l’adhésion sans nécessiter de formation spécifique.

Un changement d’échelle stratégique pour Salesforce

Ce basculement vers l’ITSM n’est pas isolé. Depuis 18 mois, Salesforce multiplie les initiatives pour élargir son empreinte fonctionnelle : copilotes sectoriels, assistants RH, gestion des opérations commerciales, automatisation des processus réglementaires. L’IA générative, qui sert de socle à cette nouvelle architecture, devient le moteur d’une stratégie centrée sur les agents IA capables de naviguer entre fonctions, métiers et domaines techniques. Agentforce IT Service s’inscrit dans cette logique : transformer une plateforme CRM en socle d’orchestration contextuelle à l’échelle de l’entreprise.

Ce mouvement n’est pas sans rappeler l’évolution de Microsoft, dont la plateforme Copilot vise également à recouvrir un maximum de périmètres métiers via une interface conversationnelle unique. Pour Salesforce, le pari est de s’imposer comme alternative crédible sur le terrain de la gouvernance des services internes, en commençant par les fonctions IT les plus génériques, mais en gardant en ligne de mire une convergence plus large, allant jusqu’aux fonctions financières ou juridiques.

Une recomposition du paysage des plateformes d’entreprise

L’annonce d’Agentforce IT Service confirme une tendance de fond sur la convergence des plateformes autour d’une interface unique, pilotée par des agents IA et capable de gérer des processus transverses. Le découplage des fonctions IT, RH, finance et métier laisse place à des systèmes orchestrés, adaptatifs et contextuels, capables d’absorber la complexité tout en réduisant le coût de possession. Dans cette perspective, Salesforce joue une carte audacieuse, mais cohérente avec l’évolution de ses produits et de son architecture.

Pour les entreprises, l’enjeu est désormais de choisir entre des plateformes spécialisées, robustes mais cloisonnées, et des environnements unifiés, potentiellement plus souples mais exigeant une refonte des logiques d’interaction. L’issue dépendra de la maturité des agents, de la finesse des connecteurs, et de la capacité à intégrer l’IA dans les chaînes décisionnelles. Quoi qu’il en soit, la bascule opérée par Salesforce est bien plus qu’un élargissement de catalogue : c’est un signal fort que l’ère des plateformes conversationnelles, transversales et pilotées par l’IA est bel et bien enclenchée.

publicité