Le secteur de l’assurance dommages (Incendie, Accidents et Risques divers – IARD) a investi de longue date dans la modélisation, notamment pour l’actuariat et la conception de produits. Parmi les évolutions en cours dans le domaine de l’intelligence artificielle, deux domaines font l’objet d’une forte accélération de l’innovation : la personnalisation des modèles, et l’amélioration voire la refonte des processus de gestion opérationnelle.

Dans les deux cas, de nouveaux défis d’agilité émergent pour les sociétés d’assurance. En termes de coût, de complexité et d'évolutivité des modèles d'analyse, il devient nécessaire de revoir l’usage de l’IA, d’outiller la gestion de son cycle de vie pour aboutir à une véritable innovation continue.

Modélisation personnalisée des risques

L'analyse prédictive est devenue une méthode majeure d'exploitation des données par les sociétés d'assurance, afin de prédire les risques et de les évaluer à leur juste valeur. Non seulement à l’échelle d’une mutualité afin d’en réviser la politique tarifaire, mais également au niveau plus granulaire de chaque risque à souscrire.

Ainsi, l'assurance à l'usage "Pay How You Drive" et la prédiction des comportements au volant sont déjà une réalité. Dans le cas d’Ornikar, qui s’est lancé dans l’assurance pour accompagner les jeunes conducteurs utilisateurs de sa plateforme de cours de code et de conduite, l’analyse prédictive est même au cœur d’un positionnement novateur : exploiter les données du parcours d’apprentissage permet d’évaluer leur niveau de risque lorsqu’ils se retrouvent au volant. Les constructeurs automobiles disposent également de données télématiques riches, et s’intéressent de près à l’IA pour fournir un niveau avancé d’analyse et d’évaluation de chaque conducteur – quasiment en temps réel. Le développement de l’assurance paramétrique repose naturellement, lui aussi, sur la capacité à modéliser les risques en fonction de paramètres prédictifs pertinents.

Passer de modélisations actuarielles agrégées à une analyse prédictive personnalisée ne va pas sans difficultés : cela impose une veille constante sur les modèles utilisés, et un suivi constant de leurs performances opérationnelles. Pour cela, le cycle de vie des modèles doit être raccourci significativement : de l'extraction et la préparation des données, à la création de modèles prédictifs, au suivi des résultats obtenus.

De l'analyse des données au monitoring de l’IA

Le logiciel analytique utilisé doit permettre d'importer et de transformer facilement les données, d’offrir un large éventail de techniques de modélisation, et de prendre en charge le monitoring des modèles en toute transparence.

La création d'un modèle prédictif commence par une analyse exploratoire des données. Les assureurs ont besoin d'une stratégie de données claire qui réponde aux exigences de l'analyse prédictive, en termes de granularité et de disponibilité. Ce chantier est souvent complexe lorsque les données, disparates et hétérogènes, proviennent de systèmes sources anciens et peu flexibles.

Intégrer une plateforme de données cloud, qui fournit des données opérationnelles riches et à jour, permet de disposer d’extractions personnalisées pour l’apprentissage par l’IA de nouveaux modèles.

Cela apporte à la fois de la flexibilité et de l’efficacité, en disposant d’une boucle de retour entre les opérations d’assurance et les modèles prédictifs – une sécurité précieuse pour les actuaires et les data scientists. A défaut, la dérive des modèles prédictifs ne peut être pilotée pour garantir que chaque risque soit pesé correctement. L’intégration des données opérationnelles est donc essentielle pour raccourcir le cycle de vie des modèles prédictifs, et nourrir l’analyse personnalisée.

Embarquer l’IA au cœur des processus

Le potentiel d’optimisation promis par l’IA est considérable, tout comme son champ d’application à l’IARD. Si de nombreux assureurs utilisent déjà des modèles prédictifs, ils se heurtent à des difficultés de déploiement et de passage à l’échelle. Celles-ci sont le miroir de l’alimentation des modèles en données fraîches : pour que l’IA apporte une amélioration dans les processus de gestion, les outils opérationnels doivent également pouvoir consommer les modèles prédictifs en temps réel, et s’adapter rapidement à leurs mises à jour.

Or, les coûts d'extension des systèmes existants pour intégrer les nouveaux modèles d'analyse dans le système informatique augmentent. Maintenir et adapter en continu des modèles déjà opérationnels, et introduire de nouveaux modèles d'analyse entraînent une complexité et des coûts supplémentaires d’intégration pour des systèmes informatique dont la conception n’avait pas pris en compte cette dimension.

L’enjeu est de taille, mais il en vaut la chandelle : optimisation tarifaire, détection des fraudes, prévision du risque d’attrition client, triage des sinistres, anticipation du risque de contentieux, etc… Les applications impactent à la fois la gestion des contrats et celle des sinistres – avec des bénéfices sur les cotisations et sur les charges.

L'analyse prédictive offre aux sociétés d'assurance IARD un potentiel énorme pour transformer leur distribution et leur gestion. Toutefois, pour exploiter efficacement ce potentiel, il faut une approche de bout en bout et une intégration étroite avec les processus opérationnels.

Cette intégration, déjà complexe, de l’IA dans les processus n’est pourtant qu’une première étape. L’arrivée de l’IA générative, encore au stade de l’expérimentation mais capable de transformer en profondeur le métier des assureurs, promet de mobiliser encore davantage leur capacité à innover en continu. Là où l’IA doit aujourd’hui être en capacité de gérer des processus dynamiques, elle devra demain s’adapter à l’interaction directe avec des êtres humains.

L’IA est l’une des clés de l'optimisation de l'assurance IARD. L'avenir du secteur réside dans l'utilisation intelligente des données et des modèles pour une innovation continue, dans un marché en constante évolution.

Par Patrick Soulignac, Consultant Solution Principal chez Guidewire