La principale raison de cette baisse de compétitivité de l’UE est l’essor du numérique, un marché dont les grandes Nations ont su profiter, les Etats-Unis et leurs GAFAMs en tête…
Le numérique est-il une cause perdue pour autant ? Il est encore tôt pour le dire. Mais il est temps de (vraiment) se réveiller. Et pour cela le Rapport Draghi énumère plusieurs enjeux clés pour l’UE dans sa quête d’une compétitivité retrouvée : à savoir notre capacité à innover et à combler notre retard technologique mais aussi à renforcer notre sécurité et à réduire notre dépendance.
Le Rapport souligne également que l’un des moteurs de notre future croissance sera notre faculté à former et à relever le défi posé par la pénurie actuelle de compétences.
Comment réduire notre dépendance si ce sont les GAFAMs qui forment nos futurs experts ?
En matière de formation, une annonce récente de l’un des grands GAFAMs a fait couler beaucoup d’encre. En effet, AWS vient d’annoncer un grand plan visant à former plus de 600 000 français aux technologies du numérique, dans les domaines tels que le Cloud ou encore l’intelligence artificielle. Une annonce qui a été plutôt bien reçue et pour cause, AWS se propose de nous aider à former des talents qui nous manquent tant et que nous ne parvenons pas à former nous-même. Essentiellement par manque de moyens…Notons que Amazon n’est pas le seul GAFAM à proposer ses services de formation. C’est aussi le cas de Microsoft qui ouvre des écoles dans le monde entier.
Mais cette annonce pose tout de même question : comment pouvons-nous réduire notre dépendance (comme cela est préconisé par le Rapport Draghi) si nos futurs experts sont massivement formés à des technologies étrangères ?
Sur le sujet, quelques voix s’élèvent. Parmi elle, celle du très écouté Guillaume Poupard, ancien Directeur Général de l’ANSSI, qui souligne régulièrement la nécessité de garder la main sur notre autonomie stratégique et le fait que la formation des compétences est l’un des enjeux clés pour y parvenir et ne plus dépendre des autres…
Soyons conscients des impacts de l’hégémonie des GAFAMs
Les GAFAMs ont une telle empreinte en Europe (rappelons que les 3 grands spécialistes du Cloud, AWS, Google Cloud et Microsoft Azure stockent aujourd’hui plus de 70 % des données de citoyens européens) que leurs solutions sont présentes dans la très grande majorité des réseaux d’entreprise et leurs logiciels sont les plus utilisés dans le cadre professionnel aussi bien que personnel.C’est un cercle vertueux (ou vicieux, chacun jugera…) qui est en place depuis des années. En effet, les entreprises ont besoin d’experts capables de gérer des solutions déjà en place dans leurs réseaux et sont donc très preneuses d’experts formés par AWS, Google, Microsoft et consorts. Citons par exemple le monde du développement d’applications dans lequel les technologies AWS sont ultra dominantes et dans lequel les entreprises ont besoin de développeurs maîtrisant les principaux outils.
En formant à grande échelle, car ils en ont les moyens, les GAFAMs, répondent donc à un besoin… Mais ils entretiennent aussi de cette manière notre dépendance à leurs solutions, sur le très long terme.
Une offre bienvenue… sous réserve que nous ayons notre propre plan en tête
Répétons-le, AWS et les autres délivrent des formations qui nous sont très utiles et nos écoles forment à leurs technologies car cela répond à un besoin marché. Mais nous devons fixer nos propres points de vigilance et notre propre feuille de route, notamment au travers de nos écoles et des formations qu'elles délivrent… Il en va de notre « autonomie stratégique » et de l’avenir de notre compétitivité.Comment ? Tout d’abord, nos écoles doivent veiller à ne pas se transformer en VRP de luxe des GAFAMs. En matière de Cloud, les formations sur des concepts Cloud sont bénéfiques à l’ensemble des acteurs du marché. Les écoles et centres de formation doivent donc s’assurer que les formations portent sur des concepts plus que sur des produits.
Certaines écoles vont bien plus loin en prenant le parti de former aussi à des alternatives françaises, à côté des formations attendues aux technologies des GAFAMs.
Arnaud Lévy, maitre de conférences associé à l’IUT Bordeaux-Montaigne et fondateur de la Coopérative Noesya témoigne en ce sens : « À l'Université Bordeaux Montaigne, nous formons nos étudiants et étudiantes à des technologies à la fois performantes et souveraines. Le niveau de maturité des solutions françaises est suffisant sur de nombreux aspects, il n'est plus nécessaire d'arbitrer entre la qualité et l'éthique ».
En nous servant de ces exemples, pourquoi ne pas suggérer (ou inciter ?) l’ensemble des écoles à élargir leurs formations pour y intégrer systématiquement des formations à des technologies françaises ? Les acteurs français seraient tout à fait disposés à mettre leurs services à disposition gratuitement dans une démarche de formation.
L’autonomie stratégique est aussi et surtout un sujet politique
Au-delà de la formation, l’autonomie stratégique et la réduction de notre dépendance technologique passe aussi par une prise de conscience et une volonté politique. Plusieurs leviers de croissance en faveur du marché français se jouent effectivement au niveau politique français et européen. L’un de ces leviers est la réglementation. Que cela soit avec le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), SecNumCloud qui est une qualification de sécurité des offres Cloud ou la directive NIS2 qui vient d’entrer en vigueur, lorsque les politiques ont agi, cela a eu de vrais impacts sur la filière Tech française.Ces réglementations découlant de décisions politiques européennes ont pour effet de valoriser les solutions technologiques françaises et européennes qui offrent de meilleures garanties du point de vue de la protection des données.
Mais les entreprises françaises de la Tech ont aujourd’hui de nombreux autres arguments à faire valoir et pour se poser en concurrents de plus en plus sérieux aux géants américains. Elles proposent des prix équivalents, des expériences utilisateurs de qualité (et qui se sont largement inspirées des références US), des supports locaux (un vrai plus pour les
clients français).
Preuve de l’engagement de l’État auprès de l’écosystème de la tech française, l’État oriente de plus en plus ses achats publics en matière de technologie vers les solutions françaises. Avec la doctrine « Cloud au centre », l’État s’est engagé à emmener ses organismes publics vers le Cloud et nous ne pouvons qu’espérer que cette transformation numérique fasse la part belle aux solutions françaises !
Le Rapport Draghi recommande un investissement de 1000 milliards d’euros de l’Union Européenne en faveur de l’innovation européenne et du renouveau de notre compétitivité. Le salut de notre compétitivité et de nos économies passera en effet par de l’investissement massif, de l’innovation et de la formation, et il est tout à fait possible de vivre en harmonie avec les géants mondiaux de la Tech tout en ayant notre propre cap et notre propre vision à long terme.
Par Yann Klis, PDG fondateur de Scalingo, spécialiste de l’hébergement Cloud (PaaS)