Dans ce climat incertain, les entreprises doivent garder un temps d’avance tout en étant capables d’agir sans délai. C’est précisément ce que permet une gouvernance agile. Elle offre les moyens de répondre aux urgences, tout en gardant la lucidité nécessaire pour anticiper les risques émergents. Ce besoin d’agilité est loin d’être théorique : selon le baromètre C-Level 2025 de Forvis Mazars, l’incertitude économique reste en tête des freins à la croissance, citée par 41 % des dirigeants, et leur confiance dans leur capacité à gérer les grandes tendances externes a chuté de 7 points en un an. Autrement dit, naviguer à vue n’est plus envisageable.
Prendre des décisions fondées sur des données fiables
Encore faut-il que cette agilité repose sur un socle solide. Dans un monde où les décisions doivent être prises rapidement, la fiabilité de l’information devient déterminante. L’agilité ne peut exister sans une gouvernance des données rigoureuse.Les directions générales, les fonctions finance, juridique ou RSE prennent chaque jour des décisions structurantes. Or ces décisions sont souvent appuyées sur des données issues de sources disparates, avec des degrés de fiabilité variables. Cette hétérogénéité crée de la lenteur, mais aussi un risque d’erreur ou d’incohérence, particulièrement problématique dans un contexte réglementaire précis.
La solution à cet enjeu passe par une architecture de données cohérente, qui relie les systèmes, automatise la collecte et garantit la traçabilité de bout en bout. Dans le cadre de la CSRD, par exemple, les exigences de transparence et d’auditabilité imposent de savoir non seulement ce que l’on publie, mais aussi comment ces chiffres ont été produits. L’automatisation des reportings, alliée à une source unique d’information, devient alors un facteur de résilience : on réduit le risque d’erreur humaine, on gagne en clarté, et surtout, on peut répondre à tout moment à une demande d’explication ou à un contrôle.
Une gouvernance des données bien conçue ne se contente pas de soutenir la conformité : elle permet de piloter de manière proactive, en s’appuyant sur des indicateurs en temps réel et contextualisés.
Transparence et collaboration : les conditions d’une gouvernance qui tient la route
Cette capacité à décider vite et bien dépend aussi d’un facteur humain : la collaboration. Dans les organisations complexes, les silos sont tenaces. Pourtant, plus les enjeux sont transversaux - comme c’est le cas pour les risques ou la durabilité - plus il est essentiel que les fonctions concernées travaillent ensemble sur une base commune.Selon une récente étude, 92 % des investisseurs classent l'exactitude des données comme une exigence fondamentale pour évaluer efficacement les organisations. Cette attente de qualité s’accompagne d’une demande croissante de transparence sur les méthodes et sur la gouvernance des informations. Il ne suffit plus de livrer un résultat final : il faut pouvoir expliquer le processus qui y a conduit, et démontrer la cohérence entre les données financières et extra-financières.
Les outils collaboratifs jouent ici un rôle décisif. Ils permettent à toutes les parties prenantes -directions RSE, finance, risques, ressources humaines, achats, communication, ainsi que la direction générale- de contribuer à un même document, en temps réel, avec des droits de validation clairement définis. Cette capacité à structurer le travail collectif, à suivre les modifications, à tracer les sources, transforme la collaboration en véritable levier de performance. On réduit les doublons, on gagne en transparence, et on évite
les frictions inutiles.
Dans ce modèle, chacun peut se concentrer sur sa valeur ajoutée, tout en s’inscrivant dans une démarche d’ensemble cohérente et alignée.
Prévoir plutôt que subir
L’agilité ne se résume pas à être réactif. Son véritable enjeu est de basculer vers une posture d’anticipation. Cela suppose une vision claire des priorités, une attention constante portée aux signaux faibles, et la capacité d’ajuster les plans sans attendre la prochaine échéance formelle.Or, dans de nombreuses entreprises, le pilotage des risques repose encore largement sur une approche figée, articulée autour d’un plan annuel. Ce modèle peut difficilement répondre à des événements qui, par nature, ne préviennent pas. Un nouveau cadre réglementaire, une cyberattaque, une rupture d’approvisionnement, ou même une évolution inattendue dans les attentes des clients : les risques ne suivent pas le calendrier.
Adopter une approche agile, c’est accepter que la planification se fasse par cycles courts, avec des revues régulières, des arbitrages ajustés, et une capacité de remobilisation rapide des équipes. Cela implique aussi de moderniser les outils : dashboards dynamiques, scénarios en temps réel, alertes intégrées… autant d’éléments qui permettent de rester en mouvement sans perdre en rigueur.
Dans ce contexte, la gestion des risques cesse d’être une obligation de conformité. Elle devient un instrument d’aide à la décision et un moyen concret de protéger la capacité d’action de l’entreprise.
Une dynamique d’action dans un monde instable
Ce modèle de gouvernance agile, basé sur des données fiables et porté par une organisation plus collaborative, n’est pas une projection théorique. Il est déjà à l’œuvre dans des entreprises qui ont choisi de repenser leurs méthodes pour faire face à l’imprévisible. La mise en œuvre de la CSRD en est une illustration : les premières entreprises concernées ont dû composer avec une part importante d’incertitude. Certaines, plus proactives, ont même fait le choix de s’y conformer volontairement, anticipant ainsi les exigences à venir.Ce qui les différencie n’est pas leur immunité face aux crises, mais leur aptitude à agir sans attendre que la situation les y contraigne. Elles investissent dans des outils qui simplifient les tâches complexes, structurent les responsabilités, et facilitent le travail collectif. Elles construisent des processus capables d’évoluer au fil des contraintes. Et elles acceptent que l’agilité ne soit pas une méthode figée, mais une façon de penser et d’organiser
l’action en continu.
Face à un environnement en transformation rapide, ce type de gouvernance donne à l’entreprise une marge de manœuvre indispensable. Elle ne promet pas la stabilité, mais elle permet d’avancer en conscience, en gardant l’essentiel : la capacité à décider et à agir, même quand le terrain se dérobe.
Par Nicolas Letavernier, Directeur du Développement France chez Workiva