Les récents mouvements sur le marché de l'édition de logiciels ont révélé de nouvelles tendances commerciales bouleversant les usages. Il est désormais évident que les engagements avec des partenaires technologiques ne perdurent que si ces derniers conservent leur indépendance. En cas de rachat, les cadres contractuels et les tarifs pratiqués risquent d'être profondément modifiés. L'épisode Broadcom et VMWare
en est un parfait exemple.

Les nouvelles règles du marché technologique

Une tendance se dessine derrière les démêlés commerciaux et juridiques de cette affaire. Ces stratégies commerciales « agressives » sont vouées à se répéter en raison du renforcement des positions de monopoles technologiques. Les entreprises se retrouvent ainsi contraintes de subir les aléas du marché. Lors d'une vente, ce sont les utilisateurs finaux qui assument les coûts des acquisitions. La règle est simple : plus le prix de vente d'une opération est élevé, plus les conditions commerciales se compliquent. Ce phénomène s'accentue avec la présence croissante de fonds d'investissement
dans le secteur technologique.

Quelles options s'offrent aux entreprises ? La migration vers des solutions tierces ? Bien qu'existantes, ces alternatives se révèlent souvent complexes, coûteuses et risquées à mettre en œuvre. Reconnaissons-le, des solutions alternatives aux grands éditeurs existent et sont tout aussi performantes. Néanmoins, même face à une augmentation significative des tarifs, il reste généralement plus rationnel d'absorber ces hausses que d'entreprendre une migration complète de l'infrastructure. Les leaders du marché en sont pleinement conscients, ce qui explique la situation actuelle des entreprises.

L'avènement du triumvirat : fonction métier, achat et juridique

Cette conjoncture engendre un sentiment de marginalisation chez les responsables informatiques des entreprises touchées par ces bouleversements commerciaux. Ils
« subissent » les aléas commerciaux de leurs prestataires technologiques. Bien que
« clients », ils se retrouvent pieds et poings liés à leurs fournisseurs, contraints d'ajuster leur stratégie aux fluctuations du marché. La pire attitude serait de considérer cette situation comme inéluctable. En réalité, indépendamment des possibles batailles juridiques, le triumvirat composé de la direction des services informatiques, de la direction des achats et de la direction juridique se trouve en première ligne.

Les nouveaux cadres de la négociation

Dans un contexte de pression commerciale sur fond de concentration technologique, ces trois fonctions doivent agir de concert pour élaborer des stratégies de négociation efficaces. Les négociations technologiques se jouent sur le terrain, et divers facteurs cruciaux pèsent dans la balance. Une compréhension approfondie de la solution déployée est essentielle. Elle implique d'anticiper les évolutions prévues par l'éditeur. Sur ces nouveaux segments technologiques, la concurrence est féroce entre les acteurs du marché. Et c'est précisément là où la compétition est intense que se cachent des marges de manœuvre commerciales.

Les résultats financiers des fournisseurs influencent également les objectifs commerciaux de leurs équipes. Il est donc judicieux d'engager les négociations au moment opportun, lorsque les conditions commerciales sont les plus souples en raison d'une pression moindre de la part du management ou des investisseurs. La compréhension de la complexité des offres proposées par les fournisseurs est également cruciale. Il est impératif pour les services achats de saisir avec précision la nature des technologies déployées au sein de leur entreprise : quel est leur usage réel, sont-elles vraiment nécessaires, etc. Faute d'une compréhension approfondie des technologies en place, les services achats passent souvent à côté d'opportunités de négociation précieuses.

Nous entrons dans une nouvelle ère où les entreprises n'ont plus nécessairement la main sur le choix de leurs fournisseurs. Plutôt que de subir passivement ou d'engager des combats coûteux en ressources internes, il convient de repenser la dynamique de la dépendance technologique des entreprises. La collaboration étroite entre les fonctions achats, juridique et opérationnelles est la clé pour rééquilibrer les rapports de force.

Par Jean-Paul Alibert, Président de T-Systems France