L’édition 2025 du Baromètre Parlons RH montre que l’expérience collaborateur est désormais un levier mesurable de performance économique et sociale. Les entreprises qui investissent dans l’écoute, la qualité de vie et l’engagement enregistrent plus de croissance et plus de stabilité des effectifs. Pourtant, une partie importante des directions n’assume toujours pas ce lien direct entre « capital humain » et création de valeur. Ce décalage révèle une transformation plus profonde du marché du travail et une polarisation croissante entre PME en retrait et grands groupes mieux pourvus.
Le Baromètre Parlons RH 2025 s’impose comme un révélateur des contradictions à l’œuvre dans les entreprises. Les répondants affirment que l’engagement des salariés constitue l’avantage compétitif majeur de leur entreprise, devant l’innovation technologique ou la notoriété. Dans le même temps, seuls dix pour cent des professionnels des RH considèrent que l’expérience collaborateur améliore réellement la performance commerciale. Cette dissonance traverse l’ensemble des résultats et illustre une difficulté persistante à traiter le « capital humain » comme un actif stratégique plutôt que comme un coût. Les chiffres présentés dans l’étude contredisent pourtant cette prudence : tout indique que la valorisation des équipes crée un avantage structurel dans les organisations qui l’assument pleinement.
Les données recueillies confirment avec netteté que les entreprises engagées dans une démarche d’expérience collaborateur connaissent une dynamique économique sensiblement plus favorable. Soixante et un pour cent déclarent avoir connu une croissance sur les trois dernières années, tandis que les non pratiquantes ne sont que trente-neuf pour cent dans cette situation. L’effet devient spectaculaire lorsque la pratique est ancienne : les entreprises qui déploient cette démarche depuis plus de trois ans atteignent soixante-dix pour cent de croissance, contre trente-quatre pour cent pour les organisations réfractaires.
La qualité du service dépend de la stabilité des équipes
L’avantage ne se limite pas à la performance globale de l’entreprise. Vingt-sept pour cent des pratiquantes estiment avoir surperformé leur secteur, contre dix-neuf pour cent des non pratiquantes. Le phénomène se renforce dans les secteurs où la valeur ajoutée repose sur le « capital humain », en particulier les technologies, les services aux entreprises et l’industrie. Ces écarts structurent progressivement une ligne de fracture entre organisations capables d’obtenir un retour sur investissement RH et celles qui restent enfermées dans une approche strictement comptable des ressources humaines.
L’analyse des tendances sectorielles confirme cette dynamique. Dans l’informatique, les télécommunications et les médias, l’écart de croissance entre pratiquantes et non pratiquantes atteint trente-neuf points. Les dirigeants de ces secteurs reconnaissent que la qualité du service et la résilience organisationnelle dépendent de la stabilité des équipes, de leur capacité à décider au plus près du terrain et d’un climat de travail durable. Ainsi, l’expérience collaborateur apparaît moins comme un supplément de confort que comme une architecture organisationnelle qui conditionne la capacité à délivrer un service fiable, cohérent et adaptable.
Création d’emploi et rétention, deux marqueurs forts
L’étude met également en évidence un phénomène rarement documenté avec autant de précision : les entreprises pratiquantes créent davantage d’emplois et stabilisent mieux leurs équipes. Cinquante-cinq pour cent ont augmenté leurs effectifs de plus de cinq pour cent en trois ans, contre trente-neuf pour cent des non pratiquantes. Le turnover confirme cette tendance. Les organisations engagées dans une démarche d’amélioration de l’expérience collaborateur n’enregistrent une hausse de la rotation que dans vingt-sept pour cent des cas, contre quarante-sept pour cent pour les non pratiquantes. La différence devient frappante dans les entreprises confirmées qui ne sont que vingt-deux pour cent à observer une augmentation du turnover, tandis que les réfractaires atteignent cinquante-quatre pour cent.
Dans les entreprises en croissance, l’écart devient un indicateur de maturité sociale. Les pratiquantes voient leur turnover se stabiliser ou se réduire dans quatre-vingt-trois pour cent des cas, contre cinquante-sept pour cent pour les non pratiquantes. Cette dissymétrie montre que la croissance n’a pas le même effet selon la culture managériale. Dans les entreprises dépourvues de démarche d’écoute structurée, l’accélération de l’activité crée des tensions, accélère la rotation des effectifs et réduit la capacité à maintenir un niveau de qualité constant. À l’inverse, les organisations dotées de pratiques RH matures absorbent mieux les pics d’activité, préservent leurs compétences et améliorent leur attractivité. Cette distinction éclaire l’émergence d’une productivité ancrée dans les comportements collectifs plutôt que dans l’intensification du travail.
Un impact clair sur la performance RSE
Le baromètre montre un lien direct entre l’expérience du collaborateur et la performance RSE. Les entreprises pratiquantes affichent un avantage de trente et un points sur le pilier social, qui englobe la qualité de vie au travail, la santé, la diversité et l’inclusion. Elles obtiennent également de meilleurs résultats sur les volets économique et environnemental, avec des écarts respectifs de dix-huit et quinze points. Ces données renforcent l’idée que l’expérience collaborateur dépasse largement le cadre du bien-être au travail pour devenir une composante fondamentale de la responsabilité sociétale des entreprises.
La différence devient particulièrement visible pour les organisations de plus de deux cent cinquante salariés. La moitié des non pratiquantes seraient démunies si elles devaient produire immédiatement les indicateurs requis pour la directive européenne CSRD, alors que seules dix-huit pour cent des pratiquantes se trouvent dans ce cas. Les entreprises disposant d’outils d’écoute et de mesure avancés sont logiquement plus préparées à structurer un reporting fiable, à anticiper les attentes réglementaires et à maîtriser les impacts sociaux et environnementaux. Ce point éclaire également la polarisation du marché. Les ETI et les grands groupes consolident leur avance méthodologique, tandis que les PME s’éloignent progressivement des standards attendus par les donneurs d’ordres, au risque d’être exclues de certaines chaînes de valeur si cette tendance persiste.
Le paradoxe de l’expérience collaborateur
L’un des enseignements les plus frappants de l’étude réside dans l’incapacité d’une majorité de professionnels RH à assumer pleinement la dimension économique de leur action. Soixante-dix pour cent citent l’engagement des salariés comme objectif principal d’une démarche d’expérience collaborateur. La performance collective figure également dans les priorités. Pourtant, lorsqu’il s’agit d’identifier les avantages compétitifs de leur entreprise, ils placent largement la qualité et l’engagement des équipes en tête, tout en refusant d’attribuer un rôle économique direct aux politiques RH qui soutiennent cet engagement. Cette déconnexion révèle une difficulté culturelle profonde. L’expérience collaborateur reste perçue comme une mécanique d’amélioration du climat social, alors qu’elle influe directement sur la capacité à recruter, à stabiliser les talents, à maintenir le service et à affronter les chocs économiques.
Ce paradoxe se nourrit également du manque d’équipement numérique relevé par le baromètre. Cinquante-neuf pour cent des entreprises pratiquantes n’utilisent pas d’outil numérique pour mesurer la qualité de vie au travail. Sans données, il devient plus complexe de démontrer l’impact réel sur la performance, ce qui entretient la circonspection des directions générales et freine les investissements structurants. À cela s’ajoute la conjoncture économique qui pousse certaines PME à délaisser les démarches d’innovation managériale, malgré leur intérêt démontré pour la résilience organisationnelle.
Une polarisation croissante et un risque de décrochage durable
L’édition 2025 révèle pour la première fois une dynamique de polarisation marquée. Les PME reculent de dix-neuf points dans la pratique de l’expérience collaborateur, tandis que les ETI progressent de six points et les grandes entreprises d’un point. Cette évolution rompt avec les tendances des années précédentes où l’expérience collaborateur progressait de manière homogène. Les entreprises les plus fragiles se retirent au moment même où les bénéfices économiques deviennent les plus évidents. Ce retrait pourrait créer un effet de ciseau dans les années à venir, avec des PME moins attractives, plus exposées aux difficultés de recrutement et moins préparées aux exigences réglementaires ou contractuelles imposées par leurs clients.
Pour les directions RH, ce baromètre devient un outil stratégique. Il fournit des arguments chiffrés pour défendre une vision durable du « capital humain », dans une période où certains discours technocentrés remettent en question la nécessité d’investir dans l’humain. Les analyses présentées par les experts de l’étude montrent au contraire que le bien-être, la stabilité et la capacité d’action des collaborateurs conditionnent la performance à long terme, en particulier face aux transformations technologiques et organisationnelles qui s’accélèrent. La qualité de l’expérience collaborateur devient alors un facteur déterminant de soutenabilité à la fois économique, sociale et opérationnelle.
Au regard des résultats, le Baromètre 2025 installe une ligne de partage nette entre les entreprises qui structurent leur engagement autour de l’écoute, de la proximité managériale et des données sociales, et celles qui maintiennent une posture attentiste. Les premières avancent vers une performance durable et une résilience accrue. Les secondes s’exposent à un risque de décrochage qui pourrait s’amplifier avec l’évolution des obligations réglementaires, les tensions de recrutement et l’essor de modèles organisationnels fondés sur la confiance et l’autonomie. La prochaine étape consistera à transformer cette prise de conscience en stratégie assumée, capable de relier explicitement la valeur créée par les équipes aux choix managériaux qui en assurent la pérennité.























