KB Crawl, éditeur français basé à Rueil-Malmaison, spécialisé dans la veille stratégique depuis plus de vingt ans, observe une transformation en profondeur des usages de la veille sous l’effet des crises géopolitiques, de la judiciarisation de l’économie et de l’arrivée de l’IA générative. Entretien avec Arnaud Marquant, directeur des opérations de l’entreprise, pour qui « l’IA devient un levier d’augmentation du veilleur, sans le remplacer ».

KB Crawl est un acteur historique de la veille. Comment résumeriez-vous votre métier aujourd’hui ?

Nous avons deux activités principales : l’édition d’une solution de veille sur internet
— utilisée par plus de 100 000 utilisateurs — et la prestation de services de veille externalisée. Notre mission est de transformer la donnée en information stratégique. Nous intervenons dans des secteurs aussi variés que la banque, la santé, l’agroalimentaire, la défense ou encore l’éducation, toujours avec une approche généraliste et adaptable.

Vous parlez d’une évolution du métier de veilleur. Qu’est-ce qui a changé ces dernières années ?

La veille était autrefois centrée sur le marché et les concurrents. Mais depuis 2018-2019, on assiste à une montée en puissance des exigences réglementaires et juridiques. La veille réglementaire est devenue centrale dans de nombreux appels d’offres. La pandémie a renforcé cette tendance : les entreprises ont eu un besoin vital d’information pour anticiper, redémarrer ou ajuster leur activité.

L’IA et l’automatisation ont-elles bouleversé vos pratiques ?

Elles les ont enrichies et accélérées. Nous avons intégré des algorithmes de machine learning pour automatiser des tâches répétitives comme le tagging (classification de contenus), la reconnaissance de structures web ou la diffusion ciblée. L’IA permet de trier, qualifier et enrichir l’information à partir de sources multiples, ce qui fait gagner un temps précieux. Mais attention : le veilleur reste au centre du processus, car c’est lui qui comprend le contexte, adapte le contenu à la culture de l’entreprise et produit une information vraiment stratégique.

L’IA générative vous paraît-elle pertinente dans cet environnement ?

Elle commence à l’être. Nous l’utilisons pour le résumé automatisé de corpus d’articles, la traduction multilingue, ou encore l’extraction d’entités nommées (entreprises, dirigeants, institutions). Cela permet au veilleur de produire plus vite et mieux, tout en maîtrisant la qualité des livrables. Mais nous restons prudents : nos clients veulent garder le contrôle sur les données. Nous avons intégré ChatGPT via une API sécurisée, mais nous développons également notre propre modèle pour une plus grande souveraineté.

Les entreprises sont-elles prêtes à basculer vers des agents veilleurs automatisés ?

Pas encore. C’est techniquement possible — des outils existent pour aller très loin dans le scraping (l’extraction automatisée de contenu structuré) et l’analyse automatisée — mais la maturité psychologique, culturelle et RH n’y est pas. Il y a des résistances, parfois
légitimes : peur de la perte de contrôle, crainte pour l’emploi, manque de confiance dans la qualité des résultats. La veille reste un métier où la culture métier, le contexte et l’esprit critique priment.

Quels sont les nouveaux enjeux de la veille pour les entreprises ?

Outre la réglementation, on assiste à une montée des enjeux liés à la RSE, à l’éthique, à la transparence dans les chaînes de valeur. Les entreprises doivent savoir ce qui se passe chez leurs sous-traitants à l’étranger, anticiper les risques réputationnels, se conformer à des législations de plus en plus complexes. La fragmentation de l’information, avec l’explosion des canaux, des formats, et des sources non officielles (réseaux sociaux, vidéos, témoignages d’employés…), rend la tâche encore plus difficile.

Peut-on imaginer demain des agents veilleurs autonomes, pilotés par l’IA ?

C’est une perspective crédible. On voit émerger des agents spécialisés capables de collecter, de filtrer et de résumer de l’information. Mais pour l’instant, la qualité n’est pas encore au niveau requis pour les environnements professionnels. Et surtout, la compréhension fine du contexte, les enjeux de jargon, de culture d’entreprise ou de communication interne restent du ressort de l’humain. La véritable mutation viendra sans doute avec la nouvelle génération de professionnels, déjà formés à l’usage de ces outils et plus enclins à en tirer parti.