Lorsque Satya Nadella a affirmé que « le SaaS est mort », il a peut-être
sous-estimé l’ampleur de la transformation à l’œuvre. Ce n’est pas seulement un modèle commercial qui vacille, c’est l’architecture entière du système d’information d’entreprise qui entre en mutation. Le logiciel en tant que produit cède la place à une informatique pilotée par l’intention, dans laquelle l’agent intelligent devient l’interface universelle des processus métiers.


Pendant plusieurs décennies, les entreprises ont empilé couches logicielles, connecteurs, scripts d’automatisation, et solutions de gestion de flux pour tenter de faire dialoguer leurs briques applicatives. Résultat : un système d’information fragmenté, coûteux à maintenir et peu réactif aux besoins métiers. Comme le résumait un expert interrogé dans nos colonnes : « Les intégrateurs passent aujourd’hui plus de temps à réparer les flux qu’à créer de la valeur ».

Le lancement du « mode Agent » de ChatGPT illustre une bascule en cours. Cet agent n’est plus un assistant conversationnel passif : il navigue, interagit avec des interfaces web, active des connecteurs, et exécute des tâches réelles — recherche d’information, réservation, génération de documents, traitement de données. Autrement dit, il commence à prendre en charge une partie du rôle que jouaient hier les applications spécialisées, les workflows métiers ou les scripts RPA.

Comme nous l’écrivions à l’occasion du Snowflake Summit : « L’agent intelligent n’est pas une surcouche, c’est un déplacement de centre de gravité : de l’outil vers l’intention, de l’interface vers l’orchestration. »

Une architecture post-applicative émerge

Dans cette logique, le SI n’est plus pensé comme un ensemble d’applications alignées sur des fonctions, mais comme un système distribué orchestré par une entité cognitive. On voit se dessiner une architecture cible composée de trois couches :
  • des sources de données et services (SaaS, cloud, bases internes) ;

  • des connecteurs (API, wrappers, plug-ins) ;

  • un ou plusieurs agents d’orchestration, capables d’interpréter les intentions métiers, d’exécuter des actions, et de superviser le cycle décisionnel.
L’agent devient alors une interface unifiée, mais aussi un méta-acteur du SI. Comme le notait récemment Benoît Mahieu, vice-président chez Jiliti : « Les DSI cherchent aujourd’hui à intégrer des couches d’intelligence adaptative capables de piloter la complexité sans l’alourdir. »

Impacts pour les éditeurs, intégrateurs et DSI

Cette mutation redistribue les rôles. Les éditeurs SaaS monofonctionnels risquent d’être absorbés dans l’orchestration agentique. Les plateformes cloud misent sur l’intégration native de leurs propres agents pour capter l’intention directement à la source (Microsoft avec Copilot, Google avec Gemini, OpenAI avec GPT + connecteurs). Les intégrateurs, eux, doivent réinventer leur rôle autour de la supervision, de la gouvernance et de l’optimisation des flux intelligents.

Le cas le plus flagrant est celui des éditeurs de plateformes de bureautique et de productivité personnelle. Ils sont particulièrement exposés à ce basculement. L’agent intelligent n’a pas besoin d’ouvrir une application de notes pour structurer un
compte-rendu, ni d’utiliser un gestionnaire de tâches pour planifier des actions : il appelle les fonctions nécessaires, les agence en contexte, puis les exécute. « Les logiciels ne disparaissent pas, ils s’effacent », résumait récemment un analyste du secteur. Leur rôle se réduit à celui de moteur d’exécution, instrumentalisé par des agents opérant dans une logique inter-applicative fluide. Leurs interfaces, quant à elles, deviennent accessoires, voire invisibles.

Le logiciel ne meurt pas, il devient invisible

Dans un article consacré à la stratégie de ServiceNow, nous écrivions : « L’avenir n’est plus aux logiciels qui traitent les demandes, mais aux systèmes qui anticipent et orchestrent les parcours. » Ce glissement impose une nouvelle méthodologie : moins de scripting, plus de raisonnement, moins d’interface, plus d’orchestration.

Le SaaS n’est pas mort, mais il est en passe d’être relégué en arrière-plan par des agents capables d’en exploiter les fonctions sans passer par l’utilisateur. Le vrai changement, c’est que le SI de grand-papa est mort : celui des silos, des empilements, des intégrations rigides, des interfaces lourdes et des processus figés. Une nouvelle ère s’ouvre, dans laquelle l’informatique d’entreprise s’organise non plus autour d’applications, mais autour d’intentions orchestrées par des agents autonomes, adaptatifs et interopérables.