Sortir de la dépendance aux Etats-Unis
Cela n’aura échappé à personne, la vague de l’IA déferle sur les entreprises depuis plusieurs mois maintenant. L’accessibilité des LLM est une mine d’opportunités business pour les entreprises. Jusque-là tout va bien. Mais à partir du moment où il faut concrétiser le projet, cela se complique. Soyons clairs, rares sont les sociétés qui peuvent se permettre d’héberger l’IA en local, le ticket d’entrée étant bien trop élevé. Le cloud public est donc la solution la plus plébiscitée pour les entreprises, en termes de puissance technologique et de coûts. Mais il y a un hic : AWS, Azure, Google Cloud, les principaux fournisseurs du marché, sont tous américains.Les entreprises européennes, dans leur volonté d’innover, confient en réalité le stockage et le traitement de leurs données, souvent sensibles et stratégiques, à une seule nation qui impose ses règlementations en la matière. L’extraterritorialité devient ici un problème de souveraineté puisque peu de fournisseurs de cloud américains privilégient le RGPD au détriment du Cloud Act. Rajoutons également que les principaux modèles d’IA sont américains. La dépendance est réelle et nous devons nous en extraire. L’élection de Donald Trump à la présidence a montré les limites de la confiance. Commercialement et technologiquement, nous nous exposons à la versatilité d’un pays qui peut décider d’ouvrir la boite des données ou de fermer le robinet quand bon lui semble. Et l’IA n’est en réalité qu’un symbole de ce déséquilibre.
Le cloud européen : un gage de pérennité
Nous disposons en Europe d’acteurs compétents pour proposer des solutions de cloud souverain. Certes, il est encore difficile d’atteindre les volumes de services proposés par les plateformes américaines mais les avantages à « relocaliser » sont nombreux. Dans le cadre de projets IA, mais pas uniquement, le recours aux solutions européennes permet de ne pas s’exposer aux lois extraterritoriales et donc de privilégier un texte comme le RGPD. On sait que la gestion des données est un point sensible, et à plus forte raison avec l’IA. Garantir aux entreprises cette vision de la protection des données est un vrai point fort. De la même manière, l’usage d’un cloud souverain européen améliore les temps de réponse, réduit les latences et optimise l’expérience client.Plus nous nous écarterons des dispositifs américains en imposant nos solutions, plus nos entreprises pourront déployer leurs projets en toute sérénité. Bien entendu, pour renforcer la pertinence des offres, il faudra également développer une politique de partenariats européens entre fournisseurs de cloud et acteurs de l’IA. La création d’un vrai écosystème de services avec une plateforme comme Mistral pourrait être un argument alléchant pour les entreprises.
Promouvoir la souveraineté du cloud, un enjeu politique
L’instabilité américaine montre que nous devons accélérer notre indépendance technologique en matière de cloud et de sécurité, et un intérêt croissant se fait sentir du côté des entreprises. Mais ce n’est pas suffisant. Les pays européens doivent se concentrer sur plusieurs aspects dont deux majeurs : une politique normative supranationale pour faire coïncider les différentes visions de la souveraineté et une politique de soutien par la commande publique aux investissements massifs des entreprises Européennes dans les équipements et logiciels.La coordination entre le législatif et la technologie sera essentielle pour que le cloud européen gagne en visibilité et en crédibilité. Et pourquoi ne pas créer un label dédié pour une meilleure reconnaissance ? Dans tous les cas, cela demandera à l’Europe de financer davantage l’innovation sans forcément désavouer l’ambition de régulation incarnée par une mesure comme l’IA Act. À l’évidence, la période d’affirmation qui s’ouvre ne pourra se concrétiser sans une réelle prise de risque des instances dirigeantes.
Par François Baranger, CTO de T-Systems France