Avec l’arrivée de l’IA agentique, des agents numériques sont désormais capables de comprendre et d’agir de manière totalement autonome. Cette évolution silencieuse s’installe peu à peu dans les open spaces, les salles de réunion mais aussi dans les amphithéâtres universitaires. Mais pour tirer le meilleur de ces collaborateurs invisibles, encore faut-il acquérir les compétences nécessaires et apprendre à les manager.
Un déploiement qui s’accélère
Dans les entreprises françaises, des scénarios autrefois totalement improbables sont en train de se dérouler. Un service planifie ses livraisons grâce à un agent IA. Ce dernier propose des scénarios, détecte les retards potentiels, et met à jour le planning en temps réel. Les équipes évitent ainsi de passer des heures à recalculer. Et ces exemples se multiplient. Selon le cabinet Deloitte, plus d’une entreprise sur deux prévoit de déployer des agents IA dans ses processus d’ici 2027. Il y a trois ans, elles étaient dix fois moins nombreuses. Gartner estime qu’en 2028, un tiers des applications logicielles intégreront ces agents autonomes. Dans certains services, les équipes collaborent déjà avec leurs “collègues numériques” comme avec des membres à part entière de l’équipe.
La productivité redéfinie
Les promesses économiques sont impressionnantes : l’IA agentique pourrait créer jusqu’à 4 400 milliards de dollars de valeur annuelle d’ici 2030. Derrière ce potentiel, il y a des usages concrets. Chez ServiceNow, le temps nécessaire pour traiter certains dossiers complexes a été réduit de moitié. Salesforce suit la même trajectoire : ses collaborateurs, libérés des tâches répétitives, ont plus de temps pour se concentrer sur la stratégie, le conseil et la relation client. Chez Klarna, les agents IA gèrent désormais un volume de travail équivalent à 700 employés. Mais la clé n’est pas là : la valeur se trouve dans la réorganisation des rôles. Les équipes humaines gardent la main sur les décisions sensibles et le relationnel. Les agents, eux, absorbent les tâches répétitives et les flux de données massifs. Le centre de gravité se déplace : l’automatisation ne remplace pas, elle complète.
Le management face à un nouvel acteur
Dans plusieurs groupes du CAC 40, les managers découvrent que leur rôle change. Il ne s’agit plus seulement de coordonner des équipes humaines. Il faut désormais apprendre à travailler avec des agents numériques capables d’exécuter, mais aussi de suggérer des décisions. Une étude récente de Salesforce révèle que 75 % des directions RH anticipent une refonte profonde des compétences managériales. Dans certaines entreprises, des formations émergent pour enseigner comment fixer des objectifs à un agent, interpréter ses recommandations et décider quand reprendre la main. Un responsable d’équipe confie : “C’est comme intégrer un nouveau collaborateur, sauf qu’il n’a pas besoin de pause-café. Mais il faut savoir où placer les limites.” Un nouveau métier naît sous nos yeux : celui de chef d’orchestre des intelligences hybrides, où humains et IA travaillent ensemble, chacun dans son domaine de compétence.
Former les talents pour demain
Dans les campus, la transformation est palpable. Les étudiants d’aujourd’hui ne se préparent plus seulement à utiliser des outils. Ils doivent apprendre à travailler aux côtés d’agents numériques. L’économiste américain Tyler Cowen recommande que près d’un tiers des cursus universitaires soit consacré à la compréhension de l’IA, à son usage et à ses limites. Des expérimentations sont déjà en cours. L’Université de Toronto, avec son programme “All Day TA”, a déployé un assistant IA capable de répondre à plus de 12 000 questions d’étudiants en un seul semestre. Ces tuteurs numériques ne remplacent pas les enseignants. Ils personnalisent l’accompagnement, détectent les lacunes et proposent des exercices adaptés. Les professeurs, eux, se concentrent sur l’essentiel : apprendre aux étudiants à raisonner, à douter, à créer.
Une nouvelle culture numérique
Les formations doivent désormais intégrer une compétence centrale : “AI literacy” ou « littératie IA ». Un vocable qui recouvre la capacité de comprendre les mécanismes qui se cachent derrière les réponses de l’agent IA, identifier les biais, auditer les décisions et de savoir quand et comment intervenir. Dans certaines écoles d’ingénieurs, des ateliers sont déjà consacrés à l’éthique des agents autonomes. On y apprend non seulement à paramétrer ces systèmes, mais aussi à les superviser. Dans ce futur qui se dessine, la technologie ne remplace pas la pensée humaine. Elle l’élargit. Elle libère du temps, offre de nouvelles perspectives et redéfinit le périmètre des compétences.
Le signal est clair : le futur ne sera pas celui d’une substitution, mais celui d’une augmentation. Cette mutation impose une responsabilité collective. Intégrer ces nouveaux collaborateurs demande des compétences spécifiques tant il est essentiel de savoir bien les encadrer pour en tirer le meilleur. Pour la première fois depuis longtemps, la technologie nous offre une promesse : celle de recentrer l’humain sur ce qui le distingue et le passionne, et lui donner les moyens, grâce aux technologies, de créer davantage de valeur.
Par François Jaussaud, Head of Fraud and Security Intelligence, France.























