Lors de l’escale du Snowflake World Tour à Paris, nous avons rencontré Benoît Dageville, son co-fondateur et président Produits. Il revient pour IT Social sur la stratégie de la plateforme, l’émergence de l’intelligence artificielle comme catalyseur de l’usage métier, les transformations en cours dans les entreprises… et les limites actuelles du cloud souverain. Pour lui, l’IA agit comme le chaînon manquant entre les données et le métier, concrétisant enfin une vision fondatrice portée depuis plus de dix ans.
Depuis un an, Snowflake parle beaucoup plus ouvertement aux métiers. Pourquoi maintenant ?
Parce que c’est enfin possible. Depuis le début, avec Thierry (Thierry Cruanes, cofondateur de Snowflake [NDLR]) notre rêve était de créer une plateforme directement utilisable par les métiers, sans passer par l’IT. Mais c’était trop complexe, même avec une plateforme comme Snowflake. Il manquait quelque chose. Et ce chaînon manquant, c’est l’IA. Aujourd’hui, il y a des dirigeants qui interagissent eux-mêmes avec leurs données. C’est ça la révolution.
Vous avez cité l’exemple d’un PDG qui est devenu utilisateur quotidien de Snowflake grâce à l’IA…
Exactement. L’un de nos clients racontait que son PDG n’avait jamais vraiment compris ce qu’était Snowflake. Depuis qu’il utilise Snowflake Intelligence, il s’en sert tous les jours, sans passer par personne. Il adore. C’est ça, l’impact. L’IA permet de passer directement de la donnée au métier, sans frictions, sans surcouche. Et pour nous, c’est une énorme validation de notre vision de départ.
Mais cette vision n’est pas réservée aux directions générales ?
Pas du tout. Le marketing, les RH, la finance, tout le monde peut s’emparer de la donnée. Une collègue chez nous, au marketing, a monté un pipeline complet : extraction d’un agenda événementiel, intégration dans Snowflake, analyse croisée avec nos données internes. Tout ça sans code, sans intervention IT. C’est une révolution dans la façon de travailler. Et elle me disait que ça lui faisait gagner des jours de travail.
Vous parlez souvent de simplicité. Ce n’est pas qu’un argument marketing ?
Non. La simplicité est l’objectif technologique le plus difficile. Derrière une interface simple, il y a une énorme complexité absorbée par la plateforme. Mais c’est nécessaire si on veut que le métier prenne la main. Les gens du business ne veulent pas gérer des pipelines ou des clusters. C’est pour ça qu’on dit parfois que Snowflake, c’est un peu l’iPhone des plateformes de données.
Et cette ouverture métier repose aussi sur un socle technique solide…
Absolument. On est avant tout une plateforme de données. On supporte toutes les formes : structurées, semi-structurées, non structurées. Et maintenant, l’IA permet d’analyser aussi les documents, les images, les retours clients… C’est ce que permet AI SQL, par exemple. Ce n’est plus seulement un langage pour faire des requêtes, c’est un langage d’analyse étendu à tous les types de données.
Vous avez aussi évoqué une abstraction sémantique des données. De quoi s’agit-il ?
Avant, les données étaient dans la plateforme, mais leur signification était dans la tête des experts, ou dans le code des applications. Aujourd’hui, on modélise cette sémantique. On crée des Semantic Views, qui traduisent les relations, les calculs implicites, les règles métier. C’est essentiel pour que les agents IA comprennent ce qu’ils manipulent. Et ça réduit drastiquement les erreurs d’interprétation.
Quelle est la place de Snowflake Intelligence dans cette logique ?
Snowflake Intelligence, c’est l’interface universelle. Une expérience conversationnelle avec les données, contextualisée, sécurisée, et branchée sur toute la plateforme. Ce n’est pas juste un chatbot. C’est un agent complet, capable d’interroger n’importe quelle donnée d’entreprise, selon les droits, et d’expliquer ce qu’il fait. On peut lui dire : « montre-moi les retours clients les plus critiques »… et il sait chercher dans des documents, croiser avec des ventes, proposer une synthèse. Et il explique son raisonnement.
Vous commencez aussi à verticaliser certains usages, avec Cortex AI…
Oui, on veut que les métiers puissent poser leurs questions dès le premier jour. Dans la finance, dans la santé, dans le retail… chaque secteur a ses propres modèles de données, ses contextes, ses vocabulaires. Avec Cortex AI, on préconfigure tout ça. L’idée, c’est que les utilisateurs puissent directement poser leurs questions métier, sans configuration préalable. Et bien sûr, c’est toujours gouverné et sécurisé.
Justement, comment conciliez-vous cette ouverture avec les enjeux de gouvernance ?
La gouvernance est essentielle. Toutes les règles d’accès s’appliquent aussi aux outils IA. Si vous êtes PDG, vous voyez certaines données ; si vous êtes analyste, d’autres. L’IA ne contourne rien. Et la qualité des données reste critique : une IA mal alimentée, c’est une IA dangereuse. Nous avons intégré des fonctions de vérification, d’explicabilité, de supervision… Et tout ça, dans une plateforme unique, sans lock-in.
Un mot sur la souveraineté, sujet brûlant en Europe. Quelle est votre position ?
On est très sensibles à ces questions. Snowflake peut fonctionner sur n’importe quel cloud, et nos clients peuvent déplacer leurs données d’un fournisseur à l’autre en quelques heures. Si un cloud européen crédible émerge, on sera les premiers à le supporter. Mais il ne faut pas que la souveraineté devienne un prétexte pour retarder l’innovation. L’Europe est déjà en retard sur le cloud, elle ne peut pas se permettre de rester à l’écart de l’IA. Il faut être pragmatique, et avancer avec ce qu’on a.
Et les projets de cloud dit « souverain » avec AWS ?
Nous y participons activement. L’idée, c’est de répondre aux préoccupations locales avec des régions opérées par des acteurs européens. Ce n’est peut-être pas l’idéal absolu, mais c’est mieux que l’inaction. Snowflake est agnostique. On veut offrir aux entreprises la liberté de choix, dans le respect des règles. La souveraineté ne se décrète pas, elle se construit. Et elle ne doit pas empêcher les entreprises d’avancer.