L’informatique quantique est l’objet depuis quelques mois d’un véritable battage médiatique. Les premiers ordinateurs quantiques sont là, et leurs créateurs, IBM et Google en tête, s’empressent de nous le rappeler. Mais sommes nous prêts ?
1Pourquoi s’intéresse-t-on à l’informatique quantique ?
Les bases théoriques de l’informatique quantique ont été déposées dans les années 70. A l’époque, et depuis une vingtaine d’année déjà, les premiers pas de l’informatique reposaient sur la physique classique et sur la théorie mathématique de l’information. L’informatique d’aujourd’hui repose donc sur ces concepts qui commencent à dater…
La physique quantique repose quant à elle sur une rupture du modèle binaire – les célèbres bits du code binaire, 0 et 1 – remis en question par l’exploitation du comportement particulier des objets à l’échelle atomique. Concrètement, dans la dimension quantique, une particule peut exister dans de nombreux états à la fois, qualifiés de ‘superposés’. Deux particules peuvent également être ‘enchevêtrées’, et dans ces conditions être simultanément affectées par un changement d’état.
De cet état de la matière, les chercheurs déduisent que des informations stockées dans des bits quantiques, ou Qubits, peuvent être exploitées pour réaliser des calculs sur un nombre exponentiel d’états. Les phénomènes quantiques peuvent ainsi réaliser en quasi temps réel des calculs complexes, voire impossibles dans l’état classique de l’informatique.
2La technologie de l’ordinateur quantique est là
Pour cela, l’ordinateur quantique doit être évidement capable de créer et de manipuler les Qubits. Seulement, pour concevoir un ordinateur quantique, il a d’abord fallu disposer de technologies capables de supporter les théories quantiques. Ces technologies sont venues avec l’évolution de la R&D. En particulier la production de matériaux supraconducteurs pour composer des circuits dans lesquels les deux états d’énergie électromagnétique distincts qui constituent un Qubits cohabitent. Cela a été rendu possible grâce à des phénomènes comme la circulation simultanée du courant dans un sens horaire et antihoraire...
Aujourd’hui, dans les labs, les premiers ordinateurs quantiques supportent 50 Qubits. Par comparaison, c’est à peu près l’état où serait un supercalculateur classique qui tournerait en environ 50 bits. Et c’est surtout en théorie le point où il devient presque impossible à un ordinateur ‘normal’ de résoudre des problèmes.
La promesse des ordinateurs quantiques est d’effectuer des calculs au-delà de ceux dont sont capables les supercalculateurs conventionnels. De nombreux domaines sont en attente de ces capacités de calcul. Par exemple, pour simuler le comportement de la matière jusqu’au niveau atomique afin de découvrir de nouveaux matériaux. Ou pour casser les codes de sécurité et de cryptographie (ce qui explique pourquoi certaines administrations américaines financent la recherche quantique !). Ou encore analyser plus efficacement la donnée dans l’Intelligence Artificielle.
3La ‘suprématie quantique’ n’est pas pour demain… encore trop d’erreurs
Pour autant, le quantique doit encore résoudre de grosses difficultés, voire des limitations. Tout d’abord, il est très difficile de maintenir des Qubits dans le temps. Ils ont tendance à ‘décoder’, c’est à dire à perdre leur nature quantique. De plus, les 50 Qubits doivent parfaitement fonctionner et ensemble, ce qui n’est pas ‘encore’ le cas, les ordinateurs quantiques sont en effet soumis à des erreurs qu’il faut corriger. De l’avis de nombreux experts, l’informatique quantique s’annonce capable d’atteindre l’exponentiel, mais elle porte également en son sein les moyens exponentiels que cela se passe mal !
De plus, l’ordinateur quantique est porteur d’un paradoxe qui fait douter de son utilité : pour de nombreux calculs, le quantique serait plus lent que le classique ! Voilà bien une mauvaise nouvelle, le quantique n’accélère pas toutes les tâches ! C’est ainsi que des simulations classiques sur un ordinateur également classique se révèlent complexes à adapter à l’informatique quantique, et n’offrent pas la précision contrôlable attendue.
Comme dans le domaine de la R&D, de nombreuses réactions chimique et les propriétés de matériaux sont déterminées par les interactions entre les atomes et les molécules, l’ordinateur quantique devrait s’imposer puisque son modèle est lui-même régi par des phénomènes quantiques. A terme, il devrait permettre de modéliser les modèles classiques comme quantiques. Et donc s’imposer dans la plupart des domaines qui font appel à des calculs lourds et complexes.
4Le cauchemar quantique
Pour le moment, nous en sommes loin, car les ordinateurs quantiques nécessitent non seulement des langages de programmation différents, mais aussi une façon fondamentalement différente de penser la programmation. Isaac Chuang, professeur au MIT, s’est fait récemment remarquer en affirmant sur l’ordinateur quantique : « Ce n'est plus le rêve d'un physicien, c'est le cauchemar d'un ingénieur ».
Ce qui explique pourquoi, même si IBM, Google et d’autres mettent en ligne leurs nouveaux nés quantiques, on ne peut pas en faire grand-chose aujourd’hui. Les rêves ambitieux, même si à terme ils sont réalistes, de l’informatique quantique au service d’une IA avancée devront rester à l’état de rêve, pour le moment. Jusqu’à ce qu’une génération d’étudiants formés à cette technologie révolutionnaire puissent rejoindre les entreprises pour leur permettre de manipuler les Qubits. Ça viendra, mais certainement pas pour demain. En attendant, il faudra se contenter de rêver devant les prouesses de la R&D dans la sphère quantique, tout en restant attentif à la marge d’erreur que la technologie devra continuer de supporter… pour combien de temps encore ?
Image d’entête 920982616 @ iStock pressureUA