Les ministres français et allemand de l’Économie, Bruno Le Maire et Peter Altmaier, ont dévoilé officiellement ce jeudi 4 juin le groupement Gaia-X. Un écosystème de 22 entreprises franco-allemandes qui devra donner corps au cloud souverain européen.

Coincée entre les mastodontes américains et chinois, l’Europe essaye tant bien que mal de se dégager un espace qui lui est propre et d’établir sa souveraineté numérique une bonne fois pour toutes. Encore une fois, c’est la France et l’Allemagne qui s’y collent en fédérant un écosystème de 22 entreprises, onze allemandes et onze françaises. Lors d'une conférence commune, la création du groupement Gaia-X a été officialisée, avec comme engagements de garantir la souveraineté des données, leur disponibilité, leur interopérabilité, leur portabilité, et de promouvoir la transparence.

Un premier concept d’architecture technique a également été présenté. Il détaille les contours technologiques du projet, notamment les services centraux nécessaires à l’écosystème Gaia-X, les règles et normes européennes à respecter, ainsi que les besoins des utilisateurs. Ces besoins ont été établis à l’aide de 40 cas d’usage.

La prochaine étape sera la rédaction d’un rapport de mise en œuvre baptisé A pitch towards Europe. Il permettra de définir les écosystèmes et les exigences des utilisateurs avec plus de 40 exemples d’application dans huit domaines : l’industrie 4.0/PME, les secteurs de la santé, des finances, de l’agriculture, de l’énergie et de la mobilité, le secteur public, et le smart living.

Un projet sur les rails

L’idée d’une initiative commune sur le « data sharing » a été lancée à Berlin en février 2019 lors de la publication d’un manifeste franco-allemand pour une politique industrielle européenne. En octobre 2019, les ministres Peter Altmaier et Bruno Le Maire avaient convenu d’une feuille de route établissant la coopération franco-allemande dans le domaine de l’intelligence artificielle, ainsi que d’une approche commune pour une infrastructure européenne permettant de conserver la souveraineté européenne sur les données.

Il est de bon ton dans certains milieux, inféodés ou complexés, surtout parisiens bizarrement, de s’interroger sur l’opportunité et le timing d’une telle initiative, estimant qu’il sera difficile de déloger les Américains de leurs places. Rafraîchissons-leur la mémoire avec un fait simple : chaque fois que l’Europe, sous l’impulsion de l’Allemagne et de la France, s’est lancée unie dans un projet, elle l’a réussi. Nous ne citerons à ce propos que le cas d’Airbus, créé en 1970 alors que Boeing crée, lui, en 1916 soit 54 ans plus tôt, dominait les cieux.

La volonté politique est le carburant du moteur franco-allemand

En Europe, ce n’est pas la Commission européenne qui est un facteur de créativité dans la politique industrielle. La fusion torpillée d’Alsthom et de Siemens en est un exemple cuisant. C’est en général la volonté politique de la France et de l’Allemagne qui fait avancer les agendas économiques et industriels. Rappelons en outre que le but de Gaia-X n’est pas d’évincer les acteurs déjà présents sur le marché, quelle que soit leur nationalité, mais de proposer aux entreprises privées et aux organisations publiques européennes la possibilité de se conformer aux règlements sur la localisation de la donnée et du respect de la vie privée du citoyen européen.

Dans un monde où la donnée est le nerf de la guerre économique, il serait ahurissant que l’une de régions les plus riches du monde, dont les entreprises sont en compétition sur les marchés mondiaux, ne dispose pas de son propre écosystème de données, les mettant à l’abri de la convoitise de ses concurrents.

Ne pas laisser le monopole de la donnée aux autres

Rappelons aussi aux oublieux quelques données objectives, qui éclairent l’initiative franco-allemande d’une perspective favorable. Si l’on considère, d’un côté, le marché de la donnée (big data, analytique, IA…), il n’en est qu’à ses prémisses. D’après toutes les études, il est promis à une croissance à deux chiffres dans les années à venir. Côté fournisseurs, l’Europe dispose d’un écosystème d’entreprises technologiques capables de fournir les applications et les technologies au cloud souverain. Côté clients, tout un écosystème d’entreprises et d’organisations publiques ne demande qu’à bénéficier de la couverture d’un cloud souverain, pour parachever sa conformité réglementaire.

L’offre étant mise en face de la demande, les prérequis fondamentaux de la réussite de tout projet industriel, numérique en l’occurrence, sont réunis. En y additionnant la volonté politique, les conditions endogènes de la réussite d’un tel projet sont donc bien là. Et si le cloud européen grappille quelques pourcents par an de la croissance du marché, il pourra à terme se faire une place au soleil du numérique mondial. Il s’agit tout simplement de ne pas laisser le monopole de la donnée aux autres, car, avec l’IA et l’analytique, elle sera à la base du fonctionnement de tous les secteurs économiques.

Dans un monde où la primauté des intérêts nationaux ne se cache plus derrière les atours trompeurs de la coopération bienveillante entre alliés, le devoir de l’Europe est de protéger ses citoyens et ses actifs industriels et immatériels.