Après la prise de participation majoritaire de 100 millions d’euros dans Jaguar Networks, ce n’était qu’une question de temps avant que Free n’annonce son entrée sur le marché des télécommunications d’entreprise. Mais la partie risque d’être autrement plus ardue pour l’inventeur du triple-play.

Retardée pour cause de pandémie, l’annonce a été faite hier par Xavier Niel, le fondateur du Groupe iliad. Free se jette dans la mêlée et met sur le marché une offre de télécommunication d’entreprise, qui repose sur une box baptisée Free Pro, qui deviendra « la marque pour les offres professionnelles de l’opérateur ». Ce qui sous-entend que Free devrait capitaliser sur les compétences de Jaguar Network pour compléter cette offre de base avec des services dans le cloud, comme les applications de collaboration as a service, les services gérés, les objets connectés et les données. 

En attendant, la box Free Pro est proposée avec deux lignes fixes VoIP inclues et une mobile pour un tarif mensuel de 39,99 € par mois la première année et 49,99 € par mois ensuite. Elle sera raccordée au réseau FTTH de Free basé sur la technologie 10G EPON. Celle-ci en mutualisant la connexion entre plusieurs abonnés, propose des débits asymétriques garantis de 7 Go/s en débit descendant et 1 Go/s en débit montant.

« Démocratiser l’accès aux télécommunications »

La Box Free est pourvue de fonctions spécifiques aux besoins des entreprises, avec le Wifi invité distinct du Wifi principal sécurisé en WPA3, des fonctions de sauvegarde NAS avec chiffrement, reposant sur deux disques durs, et un espace de stockage dans le cloud de 200 Go. En cas de panne, Free s’engage, via un réseau de mille collaborateurs en France, à intervenir 7 jours sur 7 dans les 8 heures. Comme toute les box dignes de ce nom, la Free Pro est pourvue d’un pare-feu. Celui-ci est complété par un VPN pour sécuriser les échanges avec l’extérieur.     

Selon les mots de Xavier Niel, le but de cette offre est de « démocratiser l’accès aux télécommunications pour les entreprises, en le rendant extrêmement innovant, peu cher, transparent et toujours sans engagement, parce qu’on pense que c’est là qu’est notre ADN ».

Il aura fallu du temps avant que Free ne décide de se lancer sur le marché des télécommunications d’entreprise. Aller affronter les acteurs d’un secteur ultra-compétitif nécessitait d’avoir les reins solides financièrement et surtout de disposer de ses propres réseaux fibre et cellulaires. La qualité de service exigée par les usagers professionnels, ainsi que les engagements contractuels de garantie de disponibilité, dépendent de la maîtrise de ses propres réseaux. Ce qui est de plus en plus le cas de Free, aussi bien dans la fibre que dans le cellulaire.

Des atouts indéniables pour se lancer…

D’après le dernier observatoire des déploiements commerciaux de la 5G de l’ARCEP, Free caracole en tête avec 7044 sites déployés au 28 février 2021. Le plus proche concurrent est Bouygues Telecom avec 2029 sites 5 G. Certes, l’immense majorité des sites 5G de Free résulte d’une conversion de ses équipements 4G, dans les bandes de fréquences 700 et 800 MHz, les moins performantes, en 5 G. En ce qui concerne la fibre, Free a déployé un réseau FTTH, c’est-à-dire fibré de bout en bout, en utilisant la technologie de mutualisation de bande passante 10G EPON.

Financièrement, les conditions sont également propices aux initiatives de croissance de Free. Outre la France, le rachat de l’opérateur polonais Play (15 millions d’abonnés), et le succès fulgurant en Italie, avec une envolée des abonnements, a permis à Free de présenter des résultats 2020 en forte hausse, avec un CA de 5,87 Mds€, soit une augmentation d’un peu plus de 10 % par rapport à 2109. L’envolée consécutive du titre en bourse permet à l’opérateur de disposer des fonds nécessaires pour payer son ticket d’entrée sur le marché des télécommunications d’entreprise.

… mais qui nécessite une stratégie au long cours

L’inventeur du triple-play veut dupliquer son modèle à bas prix sur le marché des télécoms pour entreprises. Pour ce faire, il dispose d’atouts convaincants : une profondeur de proche propice à des ambitions élevées et un savoir-faire indéniable en termes d’offres compétitives. Cependant, Free se lance sur un marché autrement plus compliqué que celui du grand-public. Prendre pied sur un marché morcelé et très compétitif, où de gros acteurs et des acteurs plus petits implantés dans des niches géographiques éparses, nécessite une stratégie au long cours, qui repose sur la capacité à produire des outils applicatifs et des services de manière continue, donc de copieux investissements sur le moyen et le long terme.

Le succès y repose aussi sur la capacité à développer un écosystème pérenne de partenariats technologiques et de développeurs capables de produire le code et les services à la vitesse de l’innovation des concurrents et des changements des besoins des entreprises. Côté support aux clients, les exigences sont autrement plus strictes et nécessitent des investissements conséquents dans les infrastructures et les services et une couverture territoriale capillaire. Les mois à venir vont être cruciaux pour Free qui n’aura pas d’autre choix que d’investir massivement pour soutenir ses ambitions. C’est peut-être le signal annoncé d’une consolidation sur un marché des télécoms d’entreprise très morcelé.