La crise épidémique que nous avons traversée nous fait prendre conscience de l’importance majeure de disposer rapidement d’une information claire et exhaustive. L’open data peut répondre à ce besoin, à condition de lui en donner les moyens.
Les crises ont pour conséquence de révéler l’essentiel. Celle que nous avons récemment vécue démontre qu’en 2020, au-delà des besoins vitaux liés à la nutrition et au logement, l'essentiel inclut également l'accès au numérique. En cette période de distanciation sociale, il incarne un privilège qui nous permet de continuer à communiquer et à nourrir nos liens personnels et professionnels.
L’accès au numérique est étroitement lié à l’accès à l’information, qui est nécessaire à la réduction des incompréhensions et des incertitudes. Lorsqu’ils sont combinés, ces deux éléments nous offrent la possibilité de nous organiser et de faire face ensemble. Ils participeront tant à la stratégie de sortie de crise qu’à celle de la construction du monde de demain. Il ne fait aucun doute que cette pandémie a introduit de nouvelles habitudes, de nouvelles façons de vivre et de travailler qui vont s’inscrire dans la durée.
C’est ici qu’intervient l’open data, cet agrégat de données que chacun peut librement consulter, utiliser et diffuser. Bien ordonnées, les données partagées fournissent des informations essentielles, utiles à chacun en période de crise : « comment s’alimenter ? », « où se procurer des médicaments ? », « cet établissement respecte-t-il bien les nouvelles normes sanitaires liées à l’accueil du public ? » Elles permettent également de trouver des solutions. Sur le plan scientifique, par exemple : les chercheurs ont besoin de données provenant du monde entier et mises à jour en temps réel afin de suivre l’évolution d’une maladie, de trouver le moyen de la comprendre et de stopper sa propagation.
Les données sont également indispensables aux gestionnaires locaux, qui ont le devoir de s’assurer que tout fonctionne sur le terrain : « de combien de lits ma commune dispose-t-elle pour accueillir des malades ? », « Peut-on en acheminer vers la ville voisine, ou sa capacité d'accueil est-elle saturée ? ». Les données partagées librement et largement offrent une capacité de réaction rapide : un énorme atout, alors même que le monde a pu réaliser à quel point la vitesse peut être synonyme de survie. Dès lors, sachant que ce type de projet ne nécessite pas d’investissements majeurs, pourquoi ne pas s’en servir davantage ?
Une prise de conscience nécessaire…
Au-delà de redéfinir l’essentiel, cette crise permet également d’identifier les écueils que nous rencontrons et les efforts nécessaires pour les surmonter. Hier, nous nous sommes rendu compte que trop peu de données étaient disponibles. Aujourd’hui, nous devons agir dans l’optique de devenir collectivement plus efficaces demain. La prise de conscience est là : il est urgent et primordial de faciliter la circulation des données libres. N’attendons pas, comme trop souvent, que cette initiative vienne de grandes plateformes étrangères. Elles jouent bien sûr un rôle-clef dans la connexion des individus entre eux (nous en avons eu la preuve durant le confinement) mais elles n’apportent pas les informations nécessaires aux nouvelles habitudes que nous avons adoptées collectivement : nous recentrer sur la consommation locale, monitorer l’impact environnemental de nos actions, mais aussi et surtout rassembler des informations disséminées à travers le monde à propos d’une épidémie. Alors, mettons en place les efforts nous-mêmes, ici et maintenant ! C’est sur cette base que doit se consacrer la « révolution numérique ». Maîtrisons nos basiques avant de nous autoriser à viser les étoiles… Intégrons le fait que l’open data est un pilier stratégique de tout dispositif d’informations : ce n’est pas un « gadget », ni même un luxe, mais bien un besoin qui peut se révéler vital.
S’il est évident qu’il faut encourager la publication de données libres, il est également indispensable que tout le monde puisse comprendre leur utilité. Nous devons apprendre aux producteurs de données à rendre leur data intelligible au plus grand nombre, sans toutefois la travestir. Cet effort nous permettra de faire circuler facilement la connaissance, ce qui aura pour conséquences d’à la fois favoriser le contrôle citoyen et de donner l’opportunité à la société civile d’imaginer elle-même des solutions inédites.
… qui commence à fédérer
C’est ce qu’a déjà fait Kering. Afin de développer et de maintenir la confiance des consommateurs, le groupe a développé une application qui permet de visualiser l’impact d’un produit, depuis l’extraction des matières premières qui le composent jusqu’à sa vente en boutique. Les données de l’application sont mises à disposition en open data : une caution indispensable qui ôte toute suspicion de partialité.
Des villes comme Cambridge ou Dunkerque se sont également saisies de l’outil et l’utilisent pour promouvoir les initiatives et les productions locales En effet, l’open data représente pour les territoires l’occasion de diffuser par viralité toute l’offre de leur écosystème local et ainsi de développer leur attractivité.
Autre exemple : des agences de santé récupèrent les données statistiques des opérateurs télécoms dans le but d’analyser et d’anticiper les mouvements de population.
Ces belles initiatives marquent le début d’un mouvement. Elles ouvrent une fenêtre sur ce que peuvent apporter les données partagées librement.
Sans en être le seul ingrédient, l’open data est un élément fondamental de la réorganisation de la société. Alors, ne perdons plus une minute ! Commençons dès aujourd’hui à généraliser la circulation des données afin de construire collectivement des fondations solides pour le « monde d’après ».
Par Jean-Marc Lazard, CEO Opendatasoft