Huawei a toujours nié avoir violé les sanctions commerciales américaines contre l’Iran. Mais des documents que l’agence Reuters a pu accéder tendent à affirmer le contraire. Il s’agit de documents internes à Huawei montrant que le géant chinois a envoyé des équipements informatiques américains interdits d’exportation vers l’Iran au profit d’un opérateur mobile local. Ces faits remontent à 2010. Les documents montrent deux listes de colisage qui comprennent des matériels informatiques fabriqués par Hewlett-Packard. Un autre document semble indiquer que le colis est bien arrivé en Iran. Dans tous les cas, ces « preuves » démontrent le niveau d’implication de Huawei dans les violations des sanctions américaines envers le régime iranien.

Les documents aux mains de Reuters montrent que Huawei s’est inscrit dans un projet d’extension du réseau de télécommunication en Iran. Cette affaire est à l’origine de l’acte d’accusation contre l’entreprise chinoise au niveau de la cour pénale des États-Unis. La justice américaine poursuit, notamment, la société et son directeur financier Meng Wanzhou, qui est également la fille de son fondateur. Actuellement, elle lutte pour ne pas être extradée vers les États-Unis depuis le Canada. Huawei comme Meng Wanzhou ont toujours nié les accusations qui incluent, entre autres, des suspicions de fraudes bancaires. L’acte d’accusation stipule que Meng Wanzhou et Huawei ont établi un stratagème complexe pour obtenir des matériels de fabrication américaine interdits d’exportation en Iran. Elles auraient réussi à monter une manière subtile de déplacer l’argent depuis l’Iran pour ne pas éveiller les soupçons des banques occidentales. Huawei et sa dirigeante auraient opéré via une filiale iranienne non officielle de Huawei, dénommée Skycom Tech Co Ltd, pour se fournir en marchandises. L’acte d’accusation rappelle que Huawei peut faire valoir son droit d’ignorance des actes illégaux perpétrés par Skycom pour se défendre. Devant la justice, cette dernière va se positionner en tant que défenderesse. Skycom a été liquidée en 2017 selon ses dossiers d’enregistrement à Hong-Kong.

Reuters a aussi mis la main sur des documents qui ne semblent pas être reliés au dossier d’accusation contre Huawei et Meng Wanzhou. Ils donnent des détails importants sur la manière par laquelle la société a procédé pour fournir en équipements un opérateur de télécommunication iranien. La liste comprend, entre autres, des serveurs informatiques, des commutateurs et d’autres matériels fabriqués par quelques sociétés américaines, dont HP, mais aussi des logiciels conçus par Microsoft, Symantec et Novell Inc.

Mais Skycom n’est pas la seule intermédiaire grâce à laquelle Huawei aurait réussi à faire transiter les matériels interdits des États-Unis vers l’Iran. La société aurait également fait appel à une société chinoise, Panda International Information Technology, pour concrétiser le projet iranien. Cette dernière, bien que non mentionnée dans l’acte d’accusation américain, serait aussi impliquée dans l’acquisition de matériels et de logiciels. La société Panda International Information Technology est un partenaire de longue date de Huawei. Elle est contrôlée par une société d’État chinoise. Les deux entreprises auraient collaboré pour la mise en place du réseau sans fil nord-coréen, selon le Washington Post.

Pour le moment, Huawei n’a pas encore émis de commentaires après la divulgation de ces documents. Elle réitère tout simplement être disposée à respecter la loi relative au contrôle des exportations, les sanctions américaines, européennes et celles de l’ONU. Par contre, le ministère chinois des affaires étrangères a répondu en accusant le gouvernement américain d’abuser du motif de sécurité nationale pour cibler des sociétés chinoises.

Des articles de Reuters datant de 2012 et de 2013 sont déjà cités dans l’acte d’accusation américain. Selon ces derniers, Skycom aurait proposé de vendre des équipements informatiques américains sous embargo de la marque HP à l’iranien Mobile Telecommunication Co (TCI), qui est également la maison mère de MCI (ou MCCI), le fournisseur de téléphonie mobile iranien. À l’époque des faits, TCI était contrôlée par le corps des Gardiens de la Révolution. Une autre partie prenante, répondant au nom de Setad, appartenait en grande partie au guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei. Reuter a basé ses articles de l’époque sur une liste de prix datant d’octobre 2010 proposée par Huawei et Skycom pour l’extension du système de facturation client de MCI. La liste était frappée du logo de Huawei, tout en portant le cachet de Skycom Iran Office. En 2010, Huawei a répondu qu’elle n’a jamais livré ces produits HP à MCI en affirmant que la liste faisait uniquement partie d’un dossier d’appel d’offres soumis par son partenaire Skycom. Les documents nouvellement dévoilés par Reuters tendent à infirmer cette déclaration. Rédigés en chinois, anglais et persan, ils démontrent au contraire que Huawei aurait au moins envoyé une partie de ces matériels en Iran. En effet, un document interne à la société indique que le 25 septembre 2010, MCI lui a envoyé une demande pour démarrer le projet après que le contrat d’équipement a été signé. Les documents de Reuters dévoilent également un devis produit par Huawei qui liste les équipements nécessaires pour le projet, dont des matériels HP et des logiciels conçus par Microsoft, Symantec et Novell.

En outre, les documents attestent aussi l’existence de deux listes de colisage en date du 7 décembre et du 13 décembre 2010. Les deux portent chacune le logo de Huawei. Elles montrent, en outre, des détails sur les contenus de 340 caisses d’expédition à destination de plusieurs villes iraniennes. Parmi les matériels cités figurent des serveurs, des commutateurs et des baies de disque fabriqués par HP, ainsi que des logiciels comme Microsoft Windows Server 2003 et SQL Server 2000.

Par ailleurs, un document interne à Huawei confirme que des équipements nécessaires pour le projet d’extension de l’opérateur iranien MCI sont bien arrivés en Iran. Jusqu’ici, cette dernière n’a émis aucun commentaire. Pour sa part, Hewlett-Packard rappelle que ses conditions contractuelles de vente interdisent la livraison des matériels concernés à l’Iran. Microsoft n’a pas répondu sur la légalité de ses expéditions.

Selon les documents obtenus par Reuters, Huawei aurait pu se procurer ces matériels via la société Panda International. En effet, les documents montrent aussi un contrat d’équipement signé entre MCI et Panda International d’une valeur de plus de 10 millions de dollars. Le contrat mentionne que MCI va payer ce montant au profit de Panda International via une agence de la China Construction Bank, dans la ville de Shenzhen. Par concours de circonstances ou peut-être par pure coïncidence, c’est aussi la ville où se trouve le siège de Huawei. Toujours est-il que Panda International est une société contrôlée par China Electronics Corp, une entreprise technologique d’État. Huawei utiliserait la relation qui existe entre elles pour expédier des matériels pour ses clients iraniens et syriens.

Bien entendu, ni China Electronics, ni China Construction Bank, ni même Panda International n’ont émis de commentaire jusqu’à ce jour. Panda International fait aussi partie de la liste noire des entités interdites de commercer avec les entreprises américaines depuis 2014, d’après une décision du département américain du Commerce. Dans tous les cas, les documents dévoilés par Reuters montrent que Huawei participait activement au projet d’extension du réseau mobile iranien. C’est confirmé par une lettre que MCI a adressé à Huawei en juillet 2011 qui signale des problèmes d’installation des racks HP et d’autres équipements livrés par Panda International. Huawei a répondu deux ans plus tard en spécifiant très clairement que les problèmes « ont été résolus par Huawei ».

À lire aussi : Les États-Unis collaborent avec l’Europe pour mettre en place leur technologie 5G, s’affranchissant de Huawei