Avec l’entrée en vigueur de la directive européenne sur l’accessibilité numérique, un vaste chantier de mise en conformité attend les entreprises et les organisations françaises. Cynthia Thibault Larouche, experte en accessibilité chez Ciao Technologies, filiale du groupe IT-Link, décrypte les obligations, les étapes clés et les bénéfices de cette transformation.

IT Social : En quoi la directive européenne à venir modifie-t-elle le paysage réglementaire pour les entreprises privées ?

Cynthia Thibault Larouche : Jusqu’à présent, seuls les grandes entreprises et les organismes publics étaient concernés par les obligations d’accessibilité, notamment via le RGAA, le Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (un cadre réglementaire français qui définit les règles techniques à respecter pour rendre les contenus numériques accessibles aux personnes en situation de handicap [NDLR]). Mais à partir du 28 juin 2025, les règles changent : toute entreprise privée de plus de 10 salariés, avec un chiffre d’affaires annuel supérieur à 2 millions d’euros, devra se conformer aux critères WCAG 2,1 niveau AA (Web Content Accessibility Guidelines). Les nouveaux services numériques devront être accessibles dès leur lancement. Les services déjà en ligne devront être mis en conformité avant le 28 juin 2030.

Quelles sont les sanctions encourues en cas de non-conformité ?

Les sanctions peuvent s’élever jusqu’à 75 000 € par service : 50 000 € pour le défaut d’accessibilité, et 25 000 € si la déclaration d’accessibilité ou le schéma pluriannuel ne sont pas publiés. Et ces amendes sont renouvelables tous les six mois si rien n’est fait.

Quels secteurs sont les plus directement concernés ?

C’est extrêmement vaste. Cela inclut les sites web vitrine ou e-commerce, les applications mobiles, les plateformes de streaming, les services bancaires en ligne, les distributeurs automatiques, les services de communication électronique ou encore les livres numériques. Même les interfaces de services physiques intégrant du numérique, comme les bornes dans les gares ou les aéroports, sont concernées.

Quelles sont les obligations pour les entreprises ?

Il leur faudra publier une déclaration d’accessibilité, établir un schéma pluriannuel de mise en conformité, et, idéalement, réaliser un audit d’accessibilité pour évaluer leur situation de départ. Cet audit peut être interne ou externe, mais il est crucial pour évaluer le niveau de conformité réel.

Quels services sont concernés en interne ?

Tous, ou presque. Les équipes TI bien sûr (développement, design, QA), mais aussi les services marketing, communication, production de contenu, et même le service client, qui doit être capable de répondre aux besoins spécifiques des utilisateurs. Le plan d’action doit être porté par la direction, car c’est un chantier transversal.

Comment Ciao Technologies accompagne-t-elle les entreprises dans cette transition ?

Nous avons une méthode en six étapes : audit initial (état des lieux), plan d’action, formation des équipes, accompagnement à la correction, audits de contrôle, et enfin mise en place d’outils de validation et de suivi. Nous assistons aussi à la rédaction des documents réglementaires (déclaration, schéma, VPAT pour l’Amérique du Nord…).

À quels coûts faut-il s’attendre ?

Un audit sur une quinzaine de pages représentatives coûte en moyenne entre 5 000 et 9 000 euros. Pour les très grandes organisations, cela peut aller jusqu’à 15 000 €. Ensuite, l’accompagnement varie selon la complexité des corrections à effectuer. Certaines entreprises mobilisent un conseiller quasiment à temps plein pendant plusieurs années, d’autres sont autonomes après quelques mois.

Quels bénéfices les entreprises peuvent-elles en tirer ?

Outre la conformité réglementaire, l’accessibilité améliore l’expérience utilisateur pour tous. Cela élargit la clientèle potentielle, y compris les 15 % de Français en situation de handicap. Des études montrent aussi un impact positif sur le référencement naturel (SEO) et les ventes : une enseigne britannique a investi 30 000 livres dans l’accessibilité de son site et a généré un million de livres supplémentaires en un an.

La question de la visibilité des sites Web à l’ère des agents d’IA autonomes vous inquiète-t-elle ?

Nous n’avons pas encore tranché. Pour l’instant, les internautes ont encore besoin de naviguer sur les sites pour se faire une idée de la fiabilité des entreprises. L’IA transforme la recherche d’information, mais la relation de confiance passe toujours par l’expérience
sur le site.

Voyez-vous une maturité croissante des entreprises sur ce sujet ?

Oui, surtout dans les moyennes et grandes entreprises. Beaucoup ont entamé des démarches : audits internes, formations, mises à jour. Ce qui leur manque souvent, c’est l’expertise. L’accessibilité est un domaine de niche, avec de nombreuses subtilités. Même les entreprises matures font appel à des experts externes pour les audits ou les formations.

Quelle est la présence de Ciao en France aujourd’hui ?

Ciao fait partie du groupe français IT-Link. Pour l’instant, nos équipes d’accessibilité sont basées au Canada, mais nous sommes en train de constituer une équipe en France pour accompagner localement les entreprises. D’ores et déjà, nous intervenons à distance, et un point de contact est disponible via IT-Link France.