Lorsque la Harvard Business Review publie un article sur le Data Scientist, et le qualifie de "job le plus sexy du 21ème siècle", elle oublie de dire qu'il pourrait être le dernier à bénéficier de ce qualificatif…

Quand Google, Apple ou Uber investissent dans les véhicules autonomes, ils font une démonstration de leur maîtrise technologique et de la compétence de leurs collaborateurs. Mais ces projets cachent un effet secondaire bien moins glorieux : la technologie des véhicules autonomes appliquée au transport de biens et de personnes a potentiellement la capacité de détruire 4 millions d'emplois sur le seul territoire des Etats-Unis. Ajoutons à cela d'autres apports technologiques qui annoncent la disparition de 4 millions d'emplois dans les caisses des magasins, 4 millions dans la restauration rapide et 8 millions dans la finance et la conservation de l'information. Avec ce coup de canif qui porte sur 20 millions d'emplois, le marché américain du travail ne pourra plus dans les prochaines années maintenir ses 135 millions d'emplois.

Une expression a fait son apparition, et occupe les médias depuis quelques semaines : « uberisation ». Les économistes et médias américains emploient une autre expression, plus généraliste : « computerisation » (computerization). Mais certains observateurs vont plus loin et n'hésitent pas à employer l'expression « automatisation » (automation).

Quelle est l'ampleur du phénomène ?

Deux scientifiques de l'Université d'Oxford, Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne, ont examiné la question et étudié 702 métiers manuels et intellectuels. Leur conclusion : 95 % voire plus de ces métiers subiront probablement les effets de la computerisation dans une décade ou deux. Ils ont estimé que 47 % des emplois américains seront touchés.

Quasi personne ne sera à l'abri du phénomène, mais celui-ci aura également un effet autrement plus pervers ! Chaque révolution industrielle a entrainé son lot de mouvements de population, les 'travailleurs' migrant d'un secteur à l'autre, d'un métier à l'autre, le second compensant par les emplois créés les pertes du premier. La computerisation - avec ses tendances cloud, mobilité, Big Data, IoT, social, etc. - marque une véritable disruption (encore un terme cher aux nouveaux visionnaires…) : les créations d'emplois autour de ces nouvelles technologies et nouveaux modes de consommation ne compenseront pas les pertes qu'ils vont entrainer !

Les services ne font pas le poids

Loin de notre modèle économique français, les répercussions de la disruption commencent à se mesurer aux Etats-Unis où les pratiques en matière d'emploi permettent tous les excès. Les employés victimes de la computerisation, encore peu nombreux, trouvent de nouveaux emplois, toujours moins bien payés. Un comble pour des individus qui quittent des emplois déjà réputés pour figurer parmi les plus mal payés.

Quant à l'argument des emplois de services qui compensent les pertes d'emplois plus traditionnels, il ne tient pas face à la réalité. Tout d'abord parce qu'ils réclament des compétences que les victimes de l'automatisation n'ont pas. Ensuite parce qu'ils sont également victimes de l'automatisation de la production de proximité (onshore), qui pourtant devrait rendre les emplois off-shores très pratiqués aux Etats-Unis moins attractifs. Raté…

Le dernier emploi sexy...

Conclusion des scientifiques, l'emploi ne sera plus le même pour la majorité d'entre nous. En France, 60 % des bacheliers exerceront un emploi qui n'existe pas encore aujourd'hui. Mais combien d'entre eux verront leur emploi victime de computerisation ?

Alors, lorsque Thomas H. Davenport et D.J. Patil, les auteurs de l'article de la Harvard Business Review, affirment que le Data Scientist est le job le plus sexy du 21ème siècle, ils oublient de dire qu'il est peut-être le dernier à l'être. Avec un paradoxe : l'industrie IT, à l'origine et support de la computerisation, est dans le même temps la première victime du phénomène : elle souffre d'un mal endémique, la pénurie de travailleurs IT qualifiés !