Les suppressions d’emplois dans le secteur technologique ne faiblissent pas. Après une année 2024 marquée par plus de 280 000 licenciements, 2025 en comptabilise déjà 149 140 au 6 août, selon les données agrégées par Layoffs.fyi et RationalFX. Cette tendance se nourrit autant de la prudence économique que de la volonté des grands acteurs d’investir massivement dans l’intelligence artificielle.

Le secteur technologique mondial traverse depuis deux ans une séquence de réajustement brutal de ses effectifs. Après une décennie de croissance soutenue, alimentée par la transformation numérique accélérée et des investissements massifs dans le cloud et les plateformes en ligne, la dynamique s’est inversée à partir de 2022. Les premières vagues de licenciements avaient alors été justifiées par un ralentissement post-pandémie, la fin des excès d’embauche liés à l’explosion de la demande numérique pendant les confinements, et une conjoncture économique plus incertaine. En 2023 et 2024, ce mouvement s’est amplifié, touchant même les acteurs les plus profitables.

En 2024, plus de 280 000 postes ont été supprimés dans la tech, un record depuis la bulle internet du début des années 2000. La tendance s’est prolongée en 2025, avec déjà 149.140 licenciements recensés au 6 août. Mais si les premières coupes relevaient surtout de la rationalisation économique et de la maîtrise des coûts, les annonces récentes traduisent un repositionnement stratégique plus profond. Les géants du secteur redirigent leurs ressources vers l’intelligence artificielle et l’automatisation, entraînant des restructurations qui ne se limitent plus aux divisions en difficulté, mais touchent désormais tous les niveaux hiérarchiques et un large éventail de métiers.

Réallocation des ressources vers l’IA et l’automatisation

Les chiffres montrent que la vague touche en priorité les grands groupes internationaux : Intel (33 900 postes), Microsoft (19 215), Tata Consultancy Services (12 000), Panasonic (10 000). Les États-Unis restent le principal épicentre, mais l’Asie est fortement représentée, notamment via l’Inde et le Japon. Ce phénomène ne se limite pas aux entreprises en difficulté : nombre d’acteurs affichent encore une rentabilité élevée, ce qui suggère que ces coupes répondent à d’autres logiques que la seule réduction des pertes.

Ces suppressions d’emplois surviennent dans un double contexte : d’un côté, l’adaptation à une économie plus volatile, marquée par des incertitudes géopolitiques et une pression sur les marges ; de l’autre, une réallocation massive des ressources vers l’IA et l’automatisation. Ce choix stratégique se traduit par des arbitrages radicaux dans les effectifs, parfois au détriment de métiers jugés moins stratégiques à moyen terme.

Microsoft, entre restructuration interne et accélération IA

Chez Microsoft, Satya Nadella assume un recentrage profond. L’entreprise a supprimé des niveaux managériaux intermédiaires et redéployé des ressources vers les divisions cloud et IA. L’usage de l’IA générative est déjà intégré aux opérations : 30 % du code produit est généré par Copilot, et environ 500 millions de dollars d’économies auraient été réalisées dans les services clients et commerciaux. L’objectif affiché est de rendre l’organisation plus agile pour capter la valeur de la prochaine génération de services numériques.

L’étude interne publiée par l’éditeur identifie les métiers les plus exposés à l’IA : fonctions de communication, de support client et certaines spécialités d’ingénierie logicielle. Les métiers à forte composante terrain, comme la maintenance ou l’exploitation d’infrastructures, apparaissent moins vulnérables à court terme. Pour les clients en entreprise, ces choix se traduisent par une recomposition des interlocuteurs et, dans certains cas, par un allongement des cycles de mise en œuvre ou de support.

Un ajustement structurel du marché

La comparaison des données globales et des annonces stratégiques montre que nous ne sommes pas face à une simple réponse conjoncturelle. Il s’agit plutôt d’un ajustement structurel, conséquence de l’automatisation généralisée. Sachant que le marché BtoB de plus en plus dominé par l’IA, les fournisseurs réorientent leurs effectifs pour accélérer le développement de modèles, d’agents et d’infrastructures spécialisées. Cette dynamique pourrait renforcer la concentration du marché autour de quelques plateformes dominantes, avec des effets durables sur la diversité de l’offre et la capacité d’innovation des acteurs plus petits.

Si l’argument d’anticiper les ruptures technologiques est recevable, la rapidité et l’ampleur des réductions d’effectifs soulèvent des questions sur la soutenabilité de ce modèle. Des figures du secteur, comme Brian Fargo dans le jeu vidéo, rappellent que l’IA ne remplace pas toujours la valeur créative ou relationnelle humaine. Le risque est de substituer trop vite des métiers entiers sans garantir la requalification ni la création de nouvelles filières, au détriment des compétences et de l’emploi qualifié.

La poursuite des licenciements en 2025 témoigne d’un moment charnière pour le secteur technologique. L’IA en est à la fois le moteur et le prétexte : moteur par sa capacité à transformer les modèles économiques, prétexte lorsqu’elle sert à légitimer des coupes destinées avant tout à satisfaire les marchés financiers. Pour les clients professionnels, l’enjeu est double : sécuriser la continuité et la qualité des services, et anticiper les évolutions de compétences dans leurs propres équipes. Les prochains mois permettront de savoir si cette restructuration débouchera sur un marché plus innovant ou sur un paysage concentré et socialement fragilisé.