Confrontées à l’instabilité géopolitique, à l’accélération de l’automatisation et à l’évolution rapide des attentes sociales, les entreprises sont dans l'obligation de réinventer leur mode d’organisation. McKinsey propose un nouveau référentiel à douze leviers pour passer de la stratégie à la performance.

Les stratèges des entreprises ont longtemps cru que la clarté stratégique suffisait à générer un avantage concurrentiel durable. Pourtant, selon McKinsey, même les entreprises les plus performantes subissent en moyenne un écart de 30 % entre le potentiel de leur stratégie et les résultats effectivement atteints. La cause ? Un modèle opérationnel inadapté à un contexte devenu imprévisible.

En réponse, le cabinet propose une refonte du célèbre modèle 7-S des années 1980, pour donner naissance à une approche systémique baptisée « Organize to Value », articulée autour de douze éléments interdépendants. Pour rappel, le modèle 7-S, théorisé par deux consultants de McKinsey, Tom Peters et Robert Waterman, repose sur l’idée que la performance d’une organisation dépend de l’alignement concomitant de sept éléments interdépendants, qui forment un système cohérent (stratégie, structure, ressources humaines, compétences…).

Si le modèle 7-S reste un cadre utile pour l’analyse de la cohérence interne, il a été conçu dans un monde relativement stable, centralisé, et prénumérique. Il suppose des cycles de changement longs et des organisations majoritairement structurées autour de fonctions ou divisions. En fait, il fonctionne dans un monde stable et prévisible. Mais avec la transition vers plus d’agilité, l’écosystémisation des entreprises, l’intelligence artificielle, et un monde plus instable et complexe, ce modèle a progressivement été dépassé dans sa capacité à guider les transformations rapides.

Clarté, vitesse, compétences, engagement : les piliers d’un modèle efficace

Les structures émergentes désignent des formes d’organisation alternatives aux modèles hiérarchiques traditionnels (fonctionnel, matriciel, divisionnel), conçues pour répondre aux exigences d’un environnement complexe, rapide et incertain. Elles ne se définissent pas par un organigramme rigide, mais par leur capacité à créer de la valeur en s’adaptant en continu, en intégrant les technologies et en responsabilisant les équipes sur
des résultats concrets.

Dans cette nouvelle architecture, chaque organisation est invitée à identifier sa propre
« empreinte opérationnelle », une combinaison unique de choix de conception qui aligne structure, culture, gouvernance, talents et technologies sur la stratégie poursuivie. L’objectif est de créer une dynamique organisationnelle capable de générer quatre effets mesurables : une meilleure clarté des responsabilités, une accélération des flux de travail, une adéquation des compétences avec les enjeux futurs et un engagement renforcé
des collaborateurs.

Le modèle intègre désormais des dimensions souvent sous-estimées dans les transformations structurelles, comme les comportements, les récompenses, l’écosystème de partenaires ou encore l’utilisation de l’intelligence artificielle pour soutenir les prises de décision. À la différence des approches traditionnelles centrées sur l’organigramme ou la gouvernance, cette approche met l’accent sur l’intégration cohérente de douze leviers au service de la valeur.

Pour arriver à ces conclusions, l’étude menée par McKinsey auprès de 757 dirigeants dans 6 secteurs majeurs révèle que 89 % des organisations s’appuient encore sur des structures hiérarchiques traditionnelles (fonctionnelles, matricielles ou par division). Seule une minorité (11 %) a adopté des structures émergentes de type plateforme produit, agilité d’entreprise ou réseau décentralisé. Or ces dernières se révèlent bien mieux préparées aux grands défis identifiés : montée en puissance de l’IA et de l’automatisation, complexification réglementaire, déclin de la confiance dans les institutions, ou encore vieillissement démographique dans les économies développées.

D’après l’étude de McKinsey, trois types de structures émergentes se distinguent aujourd’hui dans les entreprises à la pointe :

1. La structure plateforme produit (Product & Tech Platform)

Définition : une organisation centrée sur les produits ou les services, dans laquelle chaque unité est responsable d’un périmètre produit avec son propre compte de résultat, soutenue par des plateformes techniques mutualisées.

Caractéristiques :
  • responsabilité décentralisée au niveau des managers produit ;

  • plateformes technologiques communes pour garantir la cohérence, la sécurité, la performance ;

  • cadence d’innovation rapide (caractéristiques ou fonctionnalités, itérations, tests utilisateurs) ;

  • adaptée aux éditeurs logiciels, aux fintechs, et aux entreprises orientées client final.

2. Le modèle agile à l’échelle (Enterprise Agile)

Définition : un réseau d’équipes autonomes organisées en « tribus », « squads », ou « streams » (à ne pas confondre avec les task-force), avec une responsabilité end-to-end sur les livrables, une forte itération, et des décisions prises au plus près de l’action.

Caractéristiques :
  • autonomie décisionnelle à l’échelle de l’équipe ;

  • cadence rapide (sprints de 2 à 4 semaines) ;

  • retours utilisateurs continu et itération permanente ;

  • management par les objectifs, rôle réduit du management intermédiaire ;

  • exige un fort alignement culturel, des outils numériques cohérents, et un soutien clair du leadership.

3. Le réseau décentralisé (Decentralized Network)

Définition : un ensemble d’unités très autonomes (équipes, filiales, business units) capables de définir elles-mêmes leurs priorités, leurs clients, et leur mode de fonctionnement, souvent dans une logique d’« organisation plateforme ».

Caractéristiques :
  • grande autonomie locale (par zone géographique, client ou produit) :

  • souplesse dans la gouvernance et les modèles économiques ;

  • utilisation intensive des API, de la donnée partagée et des outils d’orchestration pour maintenir la cohérence ;

  • adaptée aux entreprises à forte diversité géographique ou réglementaire, ou aux modèles fédératifs (ex. cabinets de conseil globaux, groupes d’enseignes, multinationales).

Les points communs à ces structures émergentes

Malgré leurs différences, ces structures partagent plusieurs caractéristiques fondamentales :
  • orientation résultats plutôt que hiérarchie ;

  • capacité d’adaptation rapide aux signaux du marché ou aux évolutions technologiques ;

  • décentralisation de la prise de décision au plus près de l’exécution ;

  • intégration native des technologies (données, IA, automatisation) dans les processus métier ;

  • logique systémique plutôt que linéaire : chaque unité est conçue comme un maillon d’un écosystème global.
L’étude McKinsey montre que les entreprises ayant adopté ces structures émergentes sont statistiquement mieux préparées à affronter les grandes tendances actuelles automatisation, digitalisation, complexité réglementaire, volatilité du marché du travail. Elles affichent notamment une capacité plus élevée à innover, à accélérer leur time-to-market et à tirer profit des technologies comme l’IA générative.

D’après l’étude, celles-ci obtiennent des gains significatifs : de 10 à 30 % d’augmentation de la satisfaction client et des performances opérationnelles, jusqu’à dix fois plus de rapidité dans l’exécution des décisions, et une hausse de 10 à 30 points de l’engagement des collaborateurs. Ces chiffres traduisent une capacité accrue à gérer l’ambiguïté, à fluidifier les arbitrages, et à mobiliser les bonnes ressources au bon moment.

La logique n’est pas celle d’une réorganisation ponctuelle, mais celle d’une transformation structurelle, conçue comme un système vivant et évolutif. Le levier technologique y joue un rôle croissant, notamment via l’intégration d’outils d’IA générative (copilotes, automatisation des décisions, orchestration des données).

Un agenda pour les dirigeants : cinq questions à se poser

McKinsey recommande aux dirigeants d’aborder toute transformation organisationnelle comme une démarche holistique, et non comme une suite d’ajustements incrémentaux. Cinq questions pour guider cette réflexion :
  • Quel est l’écart entre la stratégie visée (value agenda) et les performances réellement livrées ?

  • Quelles capacités doivent être renforcées pour combler cet écart ?

  • L’organisation agit-elle comme un système cohérent ou présente-t-elle des zones de friction ?

  • Faut-il ajuster quelques éléments ou repartir sur une nouvelle empreinte complète ?

  • Comment les leaders, à tous les niveaux, doivent-ils se transformer pour incarner et déployer ce modèle ?

Vers une ingénierie stratégique du modèle d’organisation

Dans un contexte où les repères traditionnels sont remis en question, l’étude McKinsey apporte une grille de lecture renouvelée pour repenser l’organisation comme levier de performance et non comme inertie structurelle à faire évoluer. Pour ce faire, elles doivent résoudre une tension fondamentale, perceptible dans les discours actuels sur les modèles organisationnels : comment concilier autonomie locale et cohérence systémique ?

En effet, lorsqu’on évoque des structures émergentes — agiles, décentralisées,
modulaires — on insiste sur la capacité des équipes à décider, prioriser, livrer, sans dépendre d’un centre. Mais lorsqu’on parle de logique systémique et d’écosystèmes de création de valeur, on réintroduit l’idée de dépendances mutuelles entre les unités. Au lieu d’y voir une contradiction, celle-ci s’apparente plutôt à une dialectique productive.

En effet, cette tension entre autonomie et interdépendance est productive si elle est explicitement gouvernée. Elle suppose :
  • des interfaces bien conçues entre équipes (par contrat, API, backlog partagé, objectifs croisés) ;

  • des rituels de synchronisation réguliers (planning increment, chapter review, rituels inter-squads) ;

  • une culture de la transparence et de la redevabilité (visibilité sur les objectifs, les dépendances, les métriques).
Si ces mécanismes sont absents, l’organisation risque soit la fragmentation (chacun optimise localement sans convergence), soit la recentralisation déguisée (autonomie de façade, décisions toujours prises par le haut).Car, dans ce nouveau schéma opérationnel, les organisation ne cherchent plus à faire émerger la cohérence par la verticalité mais par la structuration intelligente de l’interdépendance. C’est là tout l’enjeu de la logique systémique : elle ne nie pas l’autonomie, elle l’oriente et la synchronise vers
la valeur collective.

Ce modèle s’inscrit dans une dynamique plus large de transformation des modes opératoires à l’ère de l’IA générative, du travail hybride et de la fragmentation géopolitique en régions rivales. Il s’adresse en priorité aux dirigeants désireux de piloter la résilience organisationnelle par le design, et non par la réaction.