À force de surjouer leur recours à l’IA, certains fournisseurs franchissent une ligne rouge. Derrière les promesses marketing de solutions « propulsées par l’IA », un phénomène prend de l’ampleur : celui de l’AI washing. Comme le greenwashing avant lui, il menace la confiance, la transparence, et la crédibilité du secteur tout entier.

Depuis l’explosion médiatique de l’IA générative, il ne se passe pas une semaine sans qu’un produit, un service ou une startup ne se réclame de l’intelligence artificielle. Le problème, c’est que dans bien des cas, cette IA est plus fantasmée que réelle. Une simple automatisation de tâches, un enchaînement de règles, voire un système statique peut aujourd’hui être présenté comme intelligent. Pourquoi ? Parce que cela fait vendre, rassure les investisseurs, et séduit les clients. Ce phénomène porte un nom : AI washing. Et il n’est pas anodin.

En septembre 2024, la Federal Trade Commission, le gendarme de la consommation aux États-Unis, a engagé des poursuites contre cinq entreprises pour usage trompeur du label IA. En parallèle, l’ASA, l’autorité de régulation de la publicité au Royaume-Uni, a interdit une publicité jugée mensongère sur les capacités IA d’un outil d’édition d’image. Même Coca-Cola a été critiqué pour avoir associé un goût « futuriste » à une « expérience propulsée par l’IA », sans que l’on comprenne très bien en quoi l’intelligence artificielle était impliquée dans une boisson gazeuse.

Un storytelling de façade

Ces exemples, qui relèvent bien plus de la tromperie sur marchandise, seraient anecdotiques s’ils ne traduisaient pas une dérive plus profonde : celle d’une confusion délibérée entre innovation technologique réelle et storytelling de façade. Du côté des investisseurs, l’inquiétude monte. Une étude réalisée en mars 2025 par le fonds Robocap montre que 37 % des gestionnaires d’actifs sont très préoccupés par ce phénomène, et 63 % « assez préoccupés ». Pour ces acteurs, l’AI washing n’est pas qu’une question de communication, c’est un risque financier. Car les promesses sans fondement finissent par éroder la valeur des entreprises — et la confiance du marché.

Dans certains cas, l’AI washing se traduit par des affirmations, au mieux, erronées, au pire, mensongères. Par exemple, une technologie encore en test présentée comme opérationnelle, une interface classique relookée en assistant intelligent, ou un chatbot basique promu comme capable de comprendre les émotions. Et ce n’est pas tout, une nouvelle forme d’AI washing gagne du terrain dans le monde des fournisseurs de services IA : celle du LLM washing. Il s’agit pour certaines entreprises de revendiquer l’usage de « modèles maison » ou « propriétaires », alors qu’en réalité, elles s’appuient sur des modèles de tiers accessibles via API — comme ceux d’OpenAI, de Mistral ou d’Anthropic. Ce flou volontaire brouille la compréhension technique du client et nourrit une illusion de souveraineté ou de maîtrise technologique qui n’existe pas.

Un flou dommageable à l’écosystème

Ce flou sape la crédibilité de l’écosystème IA dans son ensemble. Il brouille la distinction entre ce qui fonctionne, ce qui promet, et ce qui relève de la science-fiction. Et il pénalise les entreprises qui investissent réellement dans l’IA, avec une vision, des cas d’usage solides, et des résultats mesurables.

Pour éviter que l’IA ne devienne un mot vide, ou pire, un motif de défiance, il est urgent de poser un cadre. Cela passe par des indicateurs transparents, une traçabilité technologique, des critères d’évaluation partagés. Cela suppose aussi que les DSI, les directeurs marketing et les dirigeants cessent de confondre innovation et opportunisme.