« demande » d’accompagnement et d’éclaircissement. L’avenir du travail étant indéniablement lié à ces nouvelles technologies, l’enjeu est désormais de préparer cette génération à en tirer le meilleur parti sans en subir les effets négatifs.
De nos jours, les jeunes vivent dans un monde où les repères qui servaient autrefois de boussole pour naviguer dans la vie (études, carrière, retraite) ont volé en éclat. Les grandes certitudes qui structuraient les générations précédentes, celles du travail, de la famille, de l’identité et du choix du mode de vie en général, se sont progressivement effritées sous l’effet d’une conjonction d’évolutions économiques, technologiques, culturelles et sociales. L’abondance de l’information, la multiplication des sources et la mise en concurrence des récits ont, entre autres, contribué à l’effondrement des vérités uniques et des dogmes universels.
Pendant des décennies, le modèle dominant reposait sur une progression linéaire de l’existence : études, emploi stable, carrière ascendante et retraite sécurisée. Or, ce schéma est désormais largement remis en question par les réalités du marché du travail. L’essor du numérique, la mondialisation et l’automatisation ont accéléré l’obsolescence des compétences, rendant les trajectoires professionnelles plus instables et fragmentées. Cette dilution des normes ne signifie pas nécessairement une perte de sens, mais plutôt une transformation profonde du cadre de référence dans lequel évoluent les
nouvelles générations.
40 % estiment ne pas être préparés à utiliser l’IA au travail
Le Baromètre des jeunes (18-25 ans) au travail du Groupe ISC Paris, l’école de commerce et de management implantée à Paris et Orléans, tente chaque année de saisir l’ampleur de cette transformation et son influence sur la vision de l’avenir par les jeunes répondants. L’édition de cette année met en lumière un paradoxe intéressant : alors que l’intelligence artificielle s’impose comme un outil incontournable dans de nombreux secteurs professionnels, son adoption par les jeunes demeure limitée.Contrairement aux idées reçues qui décrivent une génération hyperconnectée et à l’aise avec les nouvelles technologies, près de 60 % des jeunes interrogés déclarent utiliser peu, voire jamais, l’IA dans leur quotidien, que ce soit pour leurs études ou leur travail. Plus encore, 40 % estiment ne pas être préparés à son utilisation dans le monde professionnel, une donnée qui interroge sur l’adéquation entre leur formation et les évolutions
du marché de l’emploi.
Un usage occasionnel, par facilité
Concernant la consommation de services d’IA, 69 % des jeunes déclarent avoir déjà utilisé une application d’intelligence artificielle. Mais son usage demeure occasionnel : seuls 21 % l’emploient quotidiennement, tandis qu’un tiers l’utilise très rarement et un quart jamais. L’adoption de l’IA est particulièrement marquée chez les étudiants des cycles supérieurs, les jeunes issus de milieux favorisés (CSP+) et les hommes, qui sont aussi ceux qui se disent les plus à l’aise avec cette technologie.Lorsqu’ils y ont recours, les jeunes le font principalement dans un cadre académique, notamment pour faciliter certaines tâches scolaires ou universitaires. Près de la moitié l’utilise dans le cadre des études, tandis que 37 % s’en servent dans un usage personnel et 21 % dans leur travail, un chiffre qui double chez les jeunes des catégories socioprofessionnelles supérieures. Ces résultats montrent que, loin d’être massivement intégrée dans la vie professionnelle des jeunes, l’intelligence artificielle reste encore cantonnée à un usage ponctuel et, pour certains, essentiellement expérimental.
46 % se sentent en déficit de compétences sur l’IA
Un des freins majeurs à son adoption semble être le manque de formation. Une part importante de la jeunesse estime ne pas être suffisamment préparée à l’utilisation croissante de l’IA dans le monde du travail, et 46 % se sentent en déficit de compétences sur le sujet. Ce constat met en évidence un besoin d’accompagnement et de formation plus marqué, notamment chez les jeunes qui ne poursuivent pas d’études supérieures ou qui viennent de milieux moins favorisés.Outre ce manque de connaissances, l’IA suscite des émotions ambivalentes. Si 55 % des jeunes perçoivent son potentiel de manière positive, notamment pour son rôle dans l’optimisation du temps de travail et le développement de nouvelles compétences, 50 % expriment des craintes, allant de l’inquiétude à l’incertitude quant aux répercussions de cette technologie sur leur avenir professionnel. La question éthique est également au cœur des préoccupations : 64 % des jeunes se disent soucieux des implications de l’IA en matière de confidentialité et de sécurité des données.
L’IA dans les parcours de formation est encore insuffisante
Ce rapport ambigu à l’intelligence artificielle révèle un décalage entre l’image d’une génération ultra-connectée et son rapport réel aux innovations technologiques. Si les jeunes maîtrisent parfaitement les outils numériques du quotidien comme les réseaux sociaux ou les plateformes de streaming, leur familiarité avec l’IA reste plus limitée. Contrairement aux technologies grand public, l’intelligence artificielle requiert une phase d’apprentissage et une certaine technicité, ce qui peut freiner son adoption. Son intégration dans les parcours de formation semble encore insuffisante, ce qui alimente la sensation d’impréparation face à son utilisation dans le monde du travail.Par ailleurs, la perception de l’IA est également influencée par les inquiétudes liées à l’emploi. Une partie des jeunes craint que cette technologie ne transforme profondément le marché du travail, voire ne menace certaines professions. 37 % redoutent que leur métier perde de son sens à cause de l’IA, tandis que 30 % craignent que l’automatisation puisse à terme les priver d’un emploi. Ce sentiment de vulnérabilité est moins partagé par les jeunes des catégories favorisées, qui perçoivent davantage l’IA comme une opportunité d’apprentissage et d’amélioration de la productivité.
Un défi de formation et d’accompagnement
Dans ce contexte, la généralisation de l’intelligence artificielle dans le monde du travail pose un défi de formation et d’accompagnement. Alors que cette technologie est amenée à jouer un rôle clé dans de nombreux secteurs, son adoption par les jeunes reste freinée par un manque d’information et une méfiance latente face à ses implications. Pour favoriser une meilleure appropriation de l’IA, il devient essentiel de renforcer la formation dès le lycée et dans l’enseignement supérieur, en proposant des cours accessibles et adaptés aux différentes filières professionnelles. L’intégration d’outils d’intelligence artificielle dans les cursus éducatifs pourrait non seulement aider à démystifier cette technologie, mais aussi favoriser une utilisation plus naturelle et confiante dans le monde du travail.L’intelligence artificielle ne semble donc pas rejetée par les jeunes, mais elle suscite encore des interrogations et une certaine retenue. Certes, il y a un fossé entre consommer des services d’IA et travailler avec l’IA. Mais il y a des raisons plus profondes à explorer. Là où les générations précédentes voyaient le progrès technologique et économique comme une promesse d’avenir radieux, les jeunes d’aujourd’hui sont conscients des limites écologiques de ce système.
Son développement rapide impose aux acteurs éducatifs et économiques de proposer des dispositifs de formation et d’information adaptés. Si les craintes liées à l’emploi et aux enjeux éthiques restent présentes, elles ne doivent pas masquer les opportunités qu’offre l’IA en matière d’innovation, d’apprentissage et de productivité.
L’enjeu est désormais de préparer cette génération à tirer parti des nouvelles technologies, en leur donnant les clés pour comprendre, maîtriser et exploiter l’intelligence artificielle dans leur future carrière professionnelle. Car, si cette génération semble parfois désorientée, elle est aussi celle qui devra redéfinir les règles du jeu en concevant de nouveaux équilibres, plus adaptés aux réalités du XXIᵉ siècle. Entre l’intelligence artificielle et leur capacité à évoluer et raisonner dans un environnement incertain, ils sont bien placés pour ce faire.