L’adaptabilité est essentielle face à un changement majeur et perturbateur, tel que la pandémie du Covid-19.Mais stabilité et flexibilité nécessitent d’équilibrer trois domaines, la structure organisationnelle, la gouvernance et les processus, pour résoudre les tensions entre stabilité et organisation variable des équipes.
L’une des leçons de la crise sanitaire est que la flexibilité et l’agilité ne sont pas synonymes d’instabilité ou de fragilité. Cette croyance admise chez beaucoup de dirigeants avant la crise est obsolète. Mises dans des conditions de survie précaires et devant prendre des décisions d’urgence, les entreprises du monde entier ont dû réagir au confinement avec très peu d’informations et en faisant face à de nombreuses incertitudes. Le plus souvent aussi avec des moyens techniques et humains qui n’étaient, au mieux, pas prêts ou, pire, carrément absents. Les capacités d’agilité et d’adaptation ont été durement mises à l’épreuve, notamment en ce qui concerne la soudaineté des mesures à prendre, le niveau de centralisation des décisions, l’autonomie des décisions et l’équilibre entre changement et stabilité.
Appliquée aux décisions de gouvernance, l’agilité, inspirée des méthodes agiles de développement de logiciels, devient la gouvernance agile ou la gouvernance adaptative. Selon les chercheurs universitaires Ines Mergel, YiweiGong et JohnBertot, elle se définit comme une « culture organisationnelle et des méthodes de collaboration pour atteindre un niveau plus élevé d’adaptabilité ».
La gouvernance adaptative trouve son origine dans la théorie de l’évolution et s’inspire largement des idées de l’économie politique, de l’économie des ressources et de l’environnement, de l’économie expérimentale, de la théorie des jeux évolutifs, de la théorie organisationnelle, de l’écologie, de la théorie des systèmes et de la science des systèmes complexes.
Paradoxalement, agilité n’est pas synonyme d’instabilité
Appliquée aux entreprises, cette agilité a du mal à s’imposer face au modèle décisionnel pyramidal. D’après un article écrit à plusieurs mains et publié par le cabinet de conseil McKinsey : « Une grande partie de la difficulté vient d’un faux concept : l’idée que les dirigeants doivent choisir entre la rapidité et la flexibilité dont ils ont tant besoin, d’une part, et la stabilité et l’échelle inhérentes aux structures et processus organisationnels fixes, d’autre part ». En somme, les décideurs confondent souvent agilité avec un processus décisionnel fragmenté et éclaté au niveau des structures de management intermédiaire et de proximité. Ils craignent une incohérence dans les décisions qui mènerait à l’instabilité.
Pourtant, comme le souligne l’article : « Selon notre expérience, les organisations véritablement agiles, paradoxalement, apprennent à être à la fois stables (résilientes, fiables et efficaces) et dynamiques (rapides, agiles et adaptatives) ». Mais pour maîtriser ce paradoxe, « elles doivent concevoir des structures, des dispositifs de gouvernance et des processus comportant un ensemble d’éléments fondamentaux relativement immuables : une épine dorsale fixe ». Un tel fonctionnement combine des éléments dynamiques et des objectifs stables. Il repose principalement sur des éléments plus souples et plus dynamiques qui peuvent être adaptés rapidement aux nouveaux défis et opportunités.
Trois domaines d’équilibrage des tensions entre stabilité et flexibilité
Le défi principal d’une telle organisation est de résoudre les tensions entre stabilité et flexibilité. Les chercheurs de McKinsey ont mis en évidence trois domaines organisationnels fondamentaux « où il est essentiel d’équilibrer cette tension entre stabilité et flexibilité : la structure organisationnelle, qui définit la manière dont les ressources sont distribuées ; la gouvernance, qui dicte la manière dont les décisions sont prises ; et les processus, qui déterminent la manière dont les choses sont faites, y compris la gestion des performances ».
1Une structure en unités opérationnelles primaires
Les hiérarchies traditionnelles définies dans les organigrammes, précisent généralement où le travail est effectué et les performances mesurées, et qui est responsable. De nombreuses grandes entreprises pensent encore que leur organisation devrait fonctionner comme des machines intégrées comprenant des pièces fonctionnelles qui s’emboîtent les unes dans les autres de manière transparente, comme une machine bien huilée.
Le problème pour cette approche mécaniste est qu’au moment où les entreprises ont mis sur pied ce type de structure, le monde a déjà évolué et il est temps de changer à nouveau. Dans une enquête de McKinsey réalisée l’année dernière, les dirigeants ont reconnu qu’au moins la moitié de leurs entreprises procédaient à des changements structurels importants, au niveau de l’unité ou de l’entreprise, aussi fréquemment que tous les deux ou trois ans. Les remaniements prennent souvent un ou deux ans.
« Les organisations agiles en revanche, choisissent délibérément la dimension de leur structure organisationnelle qui sera ce que nous appelons leur structure “primaire” », explique l’article de McKinsey. Dans ces unités opérationnelles primaires, le travail quotidien, la mesure des performances et la détermination des récompenses sont plus susceptibles de se faire au sein d’équipes qui transcendent les structures formelles. Les équipes transversales se forment, se dissolvent et se reforment à mesure que les ressources se déplacent en réponse aux demandes du marché.
2Une gouvernance agile s’appuie sur des équipes dynamiques
L’idée qui sous-tend la gouvernance agile est d’établir des éléments à la fois stables et dynamiques dans la prise de décisions, qui sont généralement de trois types. « Nous appelons les grandes décisions où les enjeux sont élevés, le type I ; les décisions fréquentes qui nécessitent un dialogue et une collaboration entre les unités, le type II ; et les décisions qui devraient être réparties en plus petites et déléguées le plus bas possible, souvent à des personnes ayant une responsabilité claire, le type III ».
Ce sont les décisions de type II qui entravent le plus souvent l’agilité organisationnelle. Les entreprises qui ont réussi à résoudre ce problème définissent les décisions qu’il est préférable de prendre en comité et celles qui peuvent être déléguées à des subordonnés directs et à des personnes proches de l’action quotidienne. Ils établissent également des chartes claires pour les participants aux comités et clarifient leurs responsabilités, en évitant notamment les chevauchements de rôles. Il s’agit là d’une base stable.
Mais ces entreprises prennent également des décisions rapides et s’adaptent à l’évolution des circonstances : elles assurent une rotation dynamique des membres individuels de ces comités, organisent des réunions virtuelles si nécessaire et consacrent leurs réunions à des discussions approfondies et à la prise de décisions en temps réel plutôt qu’au partage d’informations par des présentations interminables, dont beaucoup traitent de questions déjà résolues.
3Des processus normalisés pour que tout le monde s’y retrouve
Les processus nécessitent une certaine stabilité dans un environnement dynamique d’unités opérationnelles. C’est, selon McKinsey, la normalisation des processus qui garantit la stabilité, car « quand ce genre de normalisation fait défaut, l’agilité en souffre », explique-t-il dans l’article. « Tout comme les entreprises agiles soutiennent le nouveau dynamisme par une certaine stabilité de leur structure et de leur gouvernance, elles créent une épine dorsale stable pour les processus clés ».
Il s’agit généralement de processus de signature, dans lesquels ces entreprises excellent et qu’elles peuvent explicitement normaliser, mais qui sont difficiles à reproduire par leurs concurrents. Pour illustrer ce fait, l’article cite deux exemples. « Dans une entreprise de biens de consommation axée sur la marque et l’innovation comme P&G, par exemple, le développement de produits et la communication externe figurent en tête de liste des processus de signature. La chaîne d’approvisionnement synchronisée d’Amazon, avec son langage et ses normes communs identifiant clairement les droits de décision et les transferts, en est une autre ».
Dans de nombreuses entreprises, les processus de signature sont les suivants : de l’idée à la commercialisation, du marché à la commande et de la commande à l’encaissement. Lorsque tout le monde comprend comment ces tâches clés sont exécutées, qui fait quoi et comment (dans le cas de nouvelles initiatives) les étapes déterminent le calendrier des nouveaux investissements, les organisations peuvent agir plus rapidement en redéployant les personnes et les ressources entre les unités, les pays et les entreprises. En d’autres termes, tout le monde doit parler le même langage normalisé.