Alors que la réforme de la facturation électronique entre dans sa dernière ligne droite, plus de 60 % des dirigeants déclarent ne pas en maîtriser les implications. Le baromètre 2025 réalisé par Kolecto, Sopra Steria Next et Ipsos révèle un paradoxe inquiétant : l’apparente préparation des entreprises masque une méconnaissance profonde des enjeux techniques, réglementaires et organisationnels liés à cette transformation.

À douze mois de l’entrée en vigueur de la réforme de la facturation électronique, la majorité des chefs d’entreprise se disent prêts à franchir le cap. D’après le baromètre Kolecto 2025, 72 % d’entre eux affirment avoir entamé la transition, soit une hausse de 13 points par rapport à 2024. Mais ce chiffre contraste fortement avec un autre indicateur : 61 % reconnaissent ne pas avoir une vision claire de la réforme et de ses implications concrètes sur leur organisation. Ce décalage traduit un phénomène bien connu des politiques publiques à forte composante numérique : la surévaluation des niveaux de maturité et la sous-estimation des efforts d’intégration.

Ce manque de lisibilité est d’autant plus marqué dans les secteurs historiquement peu digitalisés, comme l’agriculture ou la construction, et au sein des très petites entreprises. Le taux d’adhésion à la réforme recule même à 59 %, en baisse de 10 points. Loin de n’être qu’un problème de communication, cette incertitude met en lumière un besoin structurel d’accompagnement ciblé, fondé sur la réalité des flux de gestion et des capacités techniques des structures concernées.

La transition se heurte à une gouvernance fragmentée et des outils hétérogènes

Le passage à la facturation électronique dépasse largement le simple changement de format. Il impose une refonte des processus de gestion, une articulation fine entre les outils de production comptable et les plateformes réglementées, et une montée en compétence rapide des équipes. Or, les dirigeants interrogés identifient encore des freins majeurs : la formation des collaborateurs (45 %), l’intégration aux systèmes financiers (44 %), la compréhension du cadre réglementaire (35 %) et la gestion des paiements associés (34 %). Ces résultats traduisent une convergence entre problématiques IT, financières et juridiques, rarement adressée de manière unifiée dans les PME et ETI.

La réforme agit comme un révélateur des failles d’alignement entre les services. Elle oblige à poser la question du pilotage opérationnel : qui porte la responsabilité de la mise en conformité ? Quels outils faut-il adapter ? Quels partenariats techniques sont nécessaires ? En l’absence de réponses claires, beaucoup d’entreprises risquent d’attendre la dernière minute, au risque de provoquer un effet d’engorgement lors de la bascule prévue en septembre 2026.

La dimension systémique appelle un accompagnement pluriel et territorial

La réussite de la réforme dépendra largement de la capacité des écosystèmes locaux à coopérer. Experts-comptables, éditeurs de logiciels, intégrateurs, banques et acteurs publics sont tous impliqués dans l’effort de transition. Certaines initiatives, comme celles portées par Kolecto ou Doxallia — deux filiales du groupe Crédit Agricole —, visent à structurer cette collaboration à l’échelle des territoires. Le portail Kolecto cible les TPE/PME avec des services d’automatisation et de visibilité financière, tandis que la plateforme Invox-IA s’adresse aux besoins plus complexes des ETI et grandes entreprises.

Mais au-delà des outils, c’est une logique d’accompagnement intégré qui s’impose. La réforme ne peut être vue comme un simple sujet comptable. Elle engage des arbitrages stratégiques : repenser les processus, redéfinir les interfaces, moderniser les référentiels de données. C’est ce que révèlent les attentes des entreprises : 46 % d’entre elles souhaitent associer facturation et paiement dans un même parcours, montrant que l’efficacité opérationnelle devient un critère aussi important que la conformité.

Réformer pour transformer : un levier de compétitivité encore sous-exploité

Le principal risque de la réforme n’est pas l’obligation elle-même, mais le manque d’appropriation stratégique. Dans les grandes entreprises, l’automatisation des cycles achat-facturation-paiement est déjà engagée depuis plusieurs années. Mais dans le tissu des PME, la réforme pourrait être perçue comme une contrainte supplémentaire, plutôt qu’une opportunité de rationalisation. Or, les bénéfices sont réels : amélioration de la trésorerie, réduction des erreurs, fluidité des règlements, meilleure lisibilité des encours.

Encore faut-il articuler ces promesses à des cas d’usage concrets. C’est le rôle des accompagnateurs sectoriels — cabinets, fédérations, opérateurs de solutions — de construire des récits métiers crédibles autour de la réforme. Sans cela, la méfiance perdurera. Et le risque est grand que les entreprises se contentent d’une mise en conformité minimale, sans en tirer les leviers de transformation pourtant accessibles.

Un impératif d’acculturation avant septembre 2026

La date du 1er septembre 2026, qui marquera l’obligation de réception de factures électroniques pour toutes les entreprises assujetties à la TVA, constitue désormais une échéance ferme. Elle concernera également l’émission pour les ETI et grandes entreprises. Si l’infrastructure réglementaire se met en place, la dynamique d’acculturation reste inachevée. Ce n’est pas un problème technique, mais un défi de conduite du changement. Il ne suffit pas d’avoir une plateforme : encore faut-il savoir s’en servir, l’intégrer dans ses flux, l’expliquer à ses partenaires.

La réforme de la facturation électronique est emblématique d’un enjeu plus large : faire évoluer les pratiques de gestion pour qu’elles deviennent des vecteurs de productivité, et non des contraintes supplémentaires. Pour les dirigeants encore dans le flou, le temps est compté. À charge pour les acteurs d’accompagnement — publics comme privés — de rendre cette transition intelligible, utile, et profitable.