Créée en 2012, Vates s’est imposée comme un acteur atypique dans le paysage de la virtualisation. L’entreprise grenobloise, d’abord intégrateur open source, est devenue éditeur de solutions d’orchestration et de virtualisation. Elle revendique aujourd’hui une maîtrise technologique de bout en bout et une ambition claire : devenir un champion européen de l’infrastructure virtualisée. Entretien avec Olivier Lambert, son président directeur général.

Vous avez cofondé Vates il y a plus de dix ans. Comment est née l’entreprise et quel a été son parcours jusqu’à aujourd’hui ?

Olivier Lambert : Nous avons fondé Vates en 2012, à trois associés à parts égales. À l’époque, nous étions intégrateurs de solutions open source, donc pas éditeurs. Mais dès 2013, nous avons commencé à développer Xen Orchestra, un outil d’orchestration de machines virtuelles conçu pour fonctionner au-dessus de XenServer, la plateforme de virtualisation de Citrix. C’était un projet interne au départ, qui a rapidement intéressé d’autres utilisateurs. On a lancé la commercialisation fin 2014, et dès le départ, 95 % de notre activité s’est faite à l’international, notamment aux États-Unis. En un an,
on devenait rentable.

Comment s’est opéré le basculement vers votre propre hyperviseur, XCP-ng ?

Citrix a annoncé fin 2017 la fin de la version gratuite de XenServer, ce qui menaçait directement 50 % de nos clients. Nous avions deux options : rendre Xen Orchestra compatible avec un autre hyperviseur, ou créer notre propre plateforme en forquant XenServer. Citrix nous a un peu provoqués, nous disant que ça ne marcherait jamais. On a donc lancé un Kickstarter pour tester l’intérêt du marché… et on a été surpris par l’enthousiasme. En 2018, nous avons lancé XCP-ng (Xen Cloud Platform – New Generation) et intégré verticalement toute la pile de virtualisation.

Comment avez-vous structuré votre offre commerciale ?

Nous avons simplifié l’offre en regroupant tout sous une bannière unique : Vates Virtualization Management. Un seul tarif annuel par machine, incluant tous les composants, sans complexité de licence par cœur ou par socket. Ce repositionnement commercial a coïncidé avec le rachat de VMware par Broadcom, ce qui nous a propulsés sur le devant de la scène. Depuis, quasiment 100 % de nos nouveaux clients viennent
de l’écosystème VMware.

Quelles sont aujourd’hui vos perspectives de croissance ?

Nous avons connu une croissance de plus de 50 % l’an dernier, et cette année, nous franchissons le cap de la centaine de collaborateurs. En 2022, nous étions encore une vingtaine. Nous avons multiplié nos effectifs par cinq en trois ans. Notre ambition est claire : faire de Vates un acteur européen incontournable et atteindre 100 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici 2030.

Votre succès vient principalement des États-Unis. Comment l’expliquez-vous ?

Les entreprises américaines ont immédiatement compris les implications du rachat de VMware par Broadcom. Elles ont rapidement cherché des alternatives, et lorsqu’elles en trouvent une crédible, elles décident vite. Le cycle de décision est très court. Résultat : aujourd’hui, nous comptons parmi nos clients des entités comme la NASA, Harman (filiale de Samsung), et même l’US Navy. On a aussi des discussions avancées avec Tesla, Lockheed Martin, et d’autres acteurs sensibles.

Votre technologie repose sur un hyperviseur maison. Quelle est votre proposition de valeur ?

Notre différenciation est double : une solution intégrée « clé en main » et une forte expertise en cybersécurité. Contrairement à d’autres projets open source comme ceux basés sur KVM, notre stack repose sur Xen, un hyperviseur initialement conçu pour des environnements sensibles. Cela nous donne un vrai avantage dans les secteurs régaliens. D’ailleurs, le Cyber Command italien a choisi notre solution pour ses datacenters. Et en France, l’ANSSI est cliente.

Êtes-vous perçus comme un acteur souverain ?

Oui, de plus en plus. Nous sommes une entreprise française, avec la R&D en France, même si nous avons des filiales aux États-Unis et en Italie. Rester européen et open source est une volonté politique forte. Ce positionnement attire des clients qui cherchent à diversifier leurs fournisseurs dans un contexte de regain d’isolationnisme américain et de volonté d’autonomie stratégique en Europe.

Comment accompagnez-vous vos clients dans les migrations ?

On ne se contente pas de fournir la technologie : on accompagne activement les migrations. Beaucoup de DSI ont 20 ans d’expérience sur VMware et appréhendent le changement. Nos équipes les guident pas à pas. Cela fait une vraie différence, notamment face à des éditeurs qui se reposent uniquement sur des partenaires.

Justement, quel est votre modèle de distribution ? Vente directe ou indirecte ?

Historiquement, nous avons beaucoup travaillé en direct. Mais depuis deux ans, nous structurons un réseau de partenaires. Le modèle indirect est essentiel, notamment en Europe. On développe aussi la certification de partenaires et d’intégrateurs, pour garantir la qualité des déploiements. À terme, nous visons un modèle mixte avec des distributeurs capables de porter notre offre à plus grande échelle.

Avez-vous des ambitions en matière de certification ?

Oui. Même si certaines certifications comme SecNumCloud ne s’appliquent pas directement à nous, nous travaillons avec l’ANSSI et d’autres organismes pour certifier des composants ou accompagner des partenaires dans leurs démarches. À l’international, certaines certifications spécifiques sont aussi en cours, co-financées avec de grands industriels.

Quelles sont les priorités de Vates pour les prochaines années ?

Accélérer. Recruter. Renforcer le réseau de partenaires. Structurer notre croissance pour passer d’une centaine à un millier de collaborateurs. Et surtout, rester fidèles à notre ADN : proposer une alternative européenne, fiable, ouverte, et techniquement maîtrisée à la virtualisation propriétaire. En clair : devenir le motoriste européen de l’infrastructure cloud.