Capgemini, SCC et Accenture conservent la tête du marché français des ESN, selon l’étude Grand Angle 2025 publiée par Numeum et KPMG. Mais derrière ce trio stable, le classement révèle une recomposition plus profonde, marquée par la spécialisation des offres, la progression des modèles industrialisés et la consolidation à venir autour des segments IA, cybersécurité et cloud souverain.

Le palmarès des cinquante premières ESN et ICT opérant en France en 2024 établit une photographie nette des rapports de force à l’instant T. Il souligne surtout un basculement stratégique du secteur, que les chiffres seuls ne sauraient résumer. Les positions se maintiennent parfois par inertie, mais les trajectoires divergentes sont déjà lisibles. L’étude confirme la domination de quelques géants historiques, mais révèle aussi la montée en puissance d’acteurs intermédiaires plus agiles, parfois spécialisés, souvent portés par une stratégie de différenciation industrielle.

Au-delà des volumes d’activité, les écarts de modèles deviennent décisifs. Capacité à produire des actifs réutilisables, à livrer des services managés, à orchestrer l’IA au cœur des processus, ou à construire une offre souveraine crédible : ce sont ces critères qui redessinent la carte du marché. Cette évolution du modèle ESN est désormais largement admise dans la profession. Plusieurs signaux convergent. Le temps passé ne constitue plus un indicateur suffisant pour évaluer la performance. Ce sont les effets produits, la vitesse de livraison et la valeur métier délivrée qui redéfinissent les critères d’évaluation. Cette logique pousse les acteurs à réorienter leur gouvernance contractuelle et à repenser leurs modèles économiques.

Un top 5 verrouillé mais sous tension stratégique

Le quinté de tête reste inchangé : Capgemini (4,38 Md€), SCC France (2,93 Md€), Accenture (2,6 Md€), Sopra Steria (2,44 Md€) et Orange Business (1,8 Md€) concentrent à eux seuls près du tiers du chiffre d’affaires total du classement. Leur poids s’explique par des portefeuilles multisectoriels, une présence soutenue dans les grands comptes, et des contrats pluriannuels qui sécurisent la base d’activité. Mais cette stabilité cache des tensions. Les marges sont en recul, les coûts de structure élevés, et la dette technique à résorber.

Certains groupes misent désormais sur l’internalisation des composants stratégiques pour reprendre le contrôle. Sopra Steria renforce ses actifs logiciels propres et ses centres nearshore. Orange Business se restructure pour isoler les activités télécoms et recentrer l’intégration autour du cloud et de la cybersécurité. « Nous accélérons sur l’IA et les services managés pour gagner en prévisibilité et en valeur livrée », indiquait récemment Éric Lestanguet, directeur exécutif d’Orange Business Services. La course au volume laisse place à une bataille sur la valeur délivrée.

Le milieu de classement progresse en misant sur la spécialisation et l’industrialisation

Derrière ce top 5, le classement révèle une zone stratégique de croissance : entre 400 et 1000 millions d’euros, plusieurs acteurs affichent une dynamique solide. Econocom (1,23 Md€), Computacenter (1,15 Md€), Inetum (1,03 Md€), Docaposte (825 M€), Neurones (810 M€) ou encore Talan (510 M€) tirent leur épingle du jeu. Leur point commun est une montée en expertise dans des segments ciblés (secteur public, cybersécurité, IA embarquée, infrastructure souveraine) et une volonté d’industrialiser les livraisons via des plateformes réutilisables.

Ces acteurs misent aussi sur des modèles hybrides combinant régie, forfaitisation, et revenus récurrents autour du MCO ou des socles métiers. Le recours à des accélérateurs techniques ou à des hubs sectoriels intégrés permet de réduire les délais de déploiement et d’uniformiser la qualité. La dynamique des mid-size agiles devient un indicateur de bascule. Comme le souligne la direction d’Inetum dans ses communications récentes, « l’enjeu n’est plus d’être partout, mais d’être utile là où nos clients cherchent à aller plus vite, plus sûr, plus sobre ».

Des acteurs internationaux sur la défensive, d’autres sur des positions d’attente

Plusieurs entreprises internationales installées en France affichent des chiffres stables ou en retrait. Atos (1,76 Md€), IBM France (1,72 Md€), CGI (1,54 Md€), Kyndryl (520 M€) ou DXC (440 M€) traversent une période d’ajustement. Leurs structures complexes, les reconfigurations en cours et parfois un manque de lisibilité stratégique freinent leur redéploiement local. Les tensions sociales, les cessions envisagées et les difficultés de recrutement pèsent également sur leur dynamique.

Pour autant, ces acteurs disposent d’actifs techniques et d’une base installée significative. Ils restent des cibles potentielles de consolidation et des fournisseurs critiques dans certaines chaînes de valeur (mainframes, systèmes hérités, infogérance). Certains pourraient aussi se repositionner par acquisition ou spécialisation, selon l’évolution de la demande locale. Leurs trajectoires dépendront largement de leur capacité à clarifier leur offre et à nouer des alliances dans un paysage de plus en plus polarisé.

L’IA, le cloud souverain et la cybersécurité rebattent les cartes

Les positions évoluent rapidement sur trois fronts : l’IA appliquée, la sécurisation des infrastructures et la relocalisation des services critiques. OVHcloud (486 M€) confirme sa progression dans l’écosystème souverain et s’impose comme une alternative crédible dans les projets sensibles. Magellan Partners (365 M€) et Constellation (212 M€) s’imposent comme des intégrateurs multi-spécialistes en forte croissance, capables de fédérer des expertises autour de briques d’orchestration, de conformité et d’infrastructures certifiées.

D’autres, comme Scalian, Adista ou Heliaq, capitalisent sur leur ancrage régional, leur maîtrise de la donnée ou leur capacité à opérer des plateformes critiques. Ils répondent à une attente des DSI : trouver des partenaires capables d’industrialiser les services tout en maîtrisant les dépendances réglementaires. Comme le résume un responsable de Magellan Partners dans la presse professionnelle : « la souveraineté devient un enjeu d’architecture plus que de déclaration : il faut le prouver dans l’ingénierie ».

Vers une recomposition durable du paysage ESN français

Ce classement 2025 ne reflète pas une simple hiérarchie des revenus. Il annonce un cycle de recomposition fondé sur la valeur démontrable, la capacité d’industrialisation et la maîtrise des chaînes critiques. Dans ce paysage, trois dynamiques convergent : l’effacement du modèle purement régie, la transition vers un modèle de revenus récurrents liés à des services managés, et la constitution de portefeuilles sectoriels orientés résultats.

Pour les entreprises clientes, cette polarisation du marché change les règles du jeu. Le choix d’un partenaire n’est plus seulement une affaire de taille ou de présence, mais d’alignement stratégique, d’agilité d’exécution et de maturité industrielle. Les acteurs du milieu de classement deviennent des pivots de transformation pour les organisations en quête de réactivité et de lisibilité. La décennie 2025–2035 pourrait ainsi consacrer la fin du modèle ESN “généraliste” au profit d’un écosystème d’opérateurs spécialisés, orchestrés, et contractuellement engagés sur des effets tangibles, et dans la durée.

Top 20 des ESN & ICT en France – Classement Numeum/KPMG 2025

RangEntrepriseChiffre d’affaires France (k€)
1Capgemini4 380 000
2SCC France2 925 000
3Accenture2 605 592
4Sopra Steria2 440 000
5Orange Business1 800 000
6Atos1 760 000
7IBM France1 723 300
8CGI France1 547 970
9Alten1 360 300
10Econocom1 230 000
11Computacenter1 159 974
12Inetum1 030 000
13Docaposte825 000
14Neurones810 400
15Akkodis782 800
16Equans Digital699 307
17Thales Services Numériques631 000
18Cegedim592 963
19Spie ICS553 000
20Kyndryl520 000
publicité