Longtemps confinés aux démonstrateurs, les robots humanoïdes approchent un seuil décisif d’industrialisation. Une étude McKinsey identifie quatre ruptures technologiques essentielles à leur déploiement à grande échelle : la sécurité sans barrière physique, l’autonomie sur une journée de travail, la motricité fine et la réduction radicale des coûts. Trois modèles industriels se dessinent entre Chine, États-Unis et Europe.

L’étude « Humanoid Robots — Crossing the Chasm from Concept to Commercial Reality » publiée par McKinsey dresse un état des lieux lucide du marché des robots humanoïdes. Ce document s’appuie sur les retours d’expérience de pilotes industriels, les dynamiques d’investissement et les trajectoires technologiques des principaux acteurs mondiaux. Il structure l’analyse autour de quatre ponts à bâtir pour sortir du « purgatoire des prototypes » et atteindre une adoption à l’échelle. Une lecture essentielle pour les industriels, intégrateurs, régulateurs et investisseurs du secteur.

La transition des humanoïdes vers une réalité industrielle repose sur quatre ruptures interdépendantes. Il faudra d’abord lever les obstacles liés à la sécurité des interactions libres, assurer une autonomie opérationnelle sur un cycle complet de travail, doter les humanoïdes de capacités motrices avancées, et enfin réduire drastiquement leur coût de fabrication. Ces conditions ne peuvent être réunies qu’au prix d’un alignement entre les filières technologiques, les cadres réglementaires et des modèles économiques viables. Trois écosystèmes industriels se dessinent. CeC. C elui de l est Chine, fondé sur la vitesse et le volume ; celui des Éta ests-Unis, centré sur l’intégration ve ticale ; et celui de l estEurope, focalisé sur la sécurité, la conformité et l’interaction humaine.

Sans sécurité « fenceless », les humanoïdes resteront confinés

La promesse des humanoïdes repose sur leur capacité à évoluer sans barrière protectrice physique dans des environnements humains. Or, la sécurité reste le principal frein à leur déploiement. Les normes existant s (ISO 10218 et ISO/TS 15066) s’appliquent aux bras robotisés et aux robots collaboratifs, mais ne couvrent pas les humanoïdes mobiles et autonomes. La no me ISO 25785-1, en cours d’élaboration, devrait cadrer les exigences spécifiques de comportement prédictible, de détection de chute et d’interaction tactile conforme. Dans l’intervalle, les prototypes restent confinés à des zones semi-ségréguées, comme le montre l’exemple d’Agility Robotics chez Amazon.

Les systèmes de sécurité doivent intégrer des capteurs visuels, tactiles, de proximité, associés à une limitation active des forces, une planification de mouvement en temps réel et des mécanismes de repli. La certification de ces dispositifs, via des référentiels robustes, sera indispensable pour tout passage à l’échelle. Les acteurs capables de concilier innovation technique et contribution normative seront les mieux positionnés pour industrialiser leurs humanoïdes dès l’ouverture des cadres réglementaires, estiment les chercheurs de McKinsey.

Sans autonomie complète, aucun retour sur investissement

Avec à pein  2 à 4 heures d’autonomie, les robots humanoïdes actuels ne couvrent qu’une fraction des journées de travail. Le principal frein reste la batterie. Deux options émergent : le changement rapide de batteries, qui permet des cycles continus, et la recharge accélérée pendant les pauses planifiées. L’objectif reste inchangé, car il faut garantir des cycles de huit à douze heures, avec interruptions minimales, dans un cadre certifié de sécurité énergétique.

D’autres leviers de conception améliorent la gestion énergétique. La réduction du poids, des transmissions plus efficientes, la perception à la demande, une dissipation thermique active. Mais ces améliorations restent secondaires face au choix stratégique des bsatterie. Les compromis technologiques entre densité, sécurité thermique et coût doivent être maîtrisés pour éviter de sacrifier la fiabilité ou la rentabilité. Le déploiement à l’échelle ne sera possible que lorsque la couverture d’un service complet sera certifiable dans les environnements réels.

La motricité humaine reste largement hors de portée

La dextérité et la mobilité des humanoïdes sont encore très éloignées de celles d’un humain. Les mains robotisées disposent de trop peu de degrés de liberté effectifs, les actionneurs sont lourds, lents, peu réactifs, et les capacités d’adaptation gestuelle sont limitées. Même en apprentissage par imitation, les robots nécessitent des milliards d’interactions simulées pour maîtriser des gestes simples, sans réelle généralisation.

Des pistes prometteuses existent, comme les peaux tactiles, la conception cinématique optimisée, les actionneurs à haute performance, les capteurs multimodaux, les modèles d’IA spécialisés dans l’interaction physique. Mais tant que les humanoïdes n’auront pas comblé ce déficit sensorimoteur, leur usage restera limité aux tâches répétitives dans des environnements structurés. C’est pourquoi les pilotes les plus avancés se concentrent aujourd’hui sur la logistique, l’inspection et les tâches de manutention légères.

Le coût reste l’obstacle majeur à la diffusion massive

Actuellement, un robot humanoïde coûte en re 150 000 000 00 000 dollars. Ce niveau de prix interdit toute diffusion large, même dans des secteurs à forte tension de main-d’œuvre. Pour viser un déploiement industriel, le coût cible doit se situer e tre 20 00 000 50 000 dollars. Atteindre cette cible implique une refonte complète des architectures : systèmes articulaires intégrés (system-on-joint), réduction du nombre de pièces, simplification du câblage, standardisation des composants, perception redimensionnée aux besoins réels.

Le coût est aussi un révélateur de maturité de la chaîne industrielle. Les premiers gains viendront des innovations sur l’actionnement, qui représente jus u’à 60 % du coût total. Les OEM capables de construire un écosystème de fournisseurs standardisés, avec des modules certifiés et une maintenance facilitée, prendront une avance décisive. Le coût n’est pas qu’une variable économique, c’est une condition d’existence du marché.

Trois trajectoires industrielles contrastées

La Chine accélère en misant sur la vitesse, le volume et l’expérimentation soutenue par l’État. En 2024, plu  de 35 modèles humanoïdes y ont été lancés. Des fabricants comme UBTech ou Unitree affichent des prix planchers, au détriment parfois des fonctions critiques. Les États-Unis, avec Tesla, Figure AI ou Apptronik, privilégient la maîtrise de bout en bout, l’IA embarquée et l’intégration dans des environnements industriels exigeants. L’Europe se démarque par la sécurité, l’interopérabilité et la conformité, avec des acteurs comme Neura Robotics ou PAL Robotics.

Ces trajectoires reposent sur des modèles industriels distincts. La Chine cherche à inonder le marché avant de normaliser. Les États-Unis misent sur la robustesse et l’avance technologique. L’Europe incarne la voie de la confiance et de la certification. À terme, le croisement de ces logiques pourrait structurer la chaîne de valeur mondiale des humanoïdes, depuis les composants jusqu’aux agents opérationnels intégrés.

Au regard des évolutions actuelles, les humanoïdes ne sont plus des curiosités de laboratoire. Ils s’apprêtent à franchir un seuil industriel, à condition de résoudre quatre défis en séquence : sécurité certifiée, autonomie complète, dextérité fonctionnelle, et coût soutenable. Chaque région avance avec ses —orces – vitesse chinoise, intégration américaine, régulation euro—éenne – mais aucune ne peut franchir seule tous les seuils. Pour les industriels et les intégrateurs, l’enjeu est de se positionner dès aujourd’hui sur les bons cas d’usage, les bons partenaires et les bons standards. Car une fois les ponts établis, les humanoïdes redéfiniront les frontières entre automatisation, interaction et collaboration.

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