À l’issue d’une année noire pour SFR, marquée par la perte de 1,3 million d’abonnés mobiles et un recul généralisé des performances, Bouygues Telecom, Free-Groupe iliad et Orange annoncent une offre conjointe pour reprendre l’essentiel des activités d’Altice France. D’un montant indicatif de 17 milliards d’euros, cette proposition de rachat à trois têtes vise à éviter un monopole tout en rassurant les autorités de régulation.
Début 2025, Altice France affichait une dette nette colossale de 21,2 milliards d’euros, un chiffre d’affaires en baisse de 5,6 % sur l’année 2024, et un repli de 9,4 % de son excédent brut d’exploitation. Sa filiale SFR, en particulier, a vu s’éroder sa base client, perdant 1,3 million d’abonnés mobiles en douze mois, malgré un léger redressement de l’ARPU fixe. C’est dans ce contexte dégradé, accentué par une procédure de conciliation judiciaire engagée en mars, que les trois principaux opérateurs télécoms français ont décidé d’unir leurs forces pour formuler une offre non engageante de rachat coordonné des actifs stratégiques d’Altice France.
L’offre remise par Bouygues Telecom, Free-Groupe iliad et Orange vise un périmètre excluant les participations dans Intelcia, UltraEdge, XP Fibre, Altice Technical Services et les activités dans les départements et régions d'outre-mer (DROM). La répartition proposée repose sur une logique d’affinités métiers : les activités entreprises (B2B) seraient reprises principalement par Bouygues Telecom, avec une part pour Free ; les activités grand public (B2C) seraient partagées à parts variables entre les trois opérateurs ; et les actifs réseaux (infrastructures et fréquences) seraient également répartis, avec une attribution spécifique à Bouygues Telecom du réseau mobile en zone non dense.
Une valorisation implicite de plus de 21 milliards d’euros
Ce montage inédit prévoit par ailleurs la création d’une société commune de transition, chargée de gérer temporairement les actifs ne pouvant être transférés immédiatement. Cette entité, constituée autour des collaborateurs actuels de SFR, assurerait la continuité de service pendant la phase de migration progressive des clients vers les systèmes des acquéreurs.
La valeur d’entreprise retenue pour les actifs repris s’élève à 17 milliards d’euros, ce qui correspond à une valorisation implicite supérieure à 21 milliards pour l’ensemble d’Altice France. La répartition du coût d’acquisition serait de 43 % pour Bouygues Telecom, 30 % pour Free-Groupe iliad et 27 % pour Orange. Cette offre reste à ce stade indicative, et sa confirmation dépendra des résultats des due diligences financières et opérationnelles, ainsi que de l’évaluation détaillée des hypothèses initiales.
Sur le plan juridique, l’opération devra faire l’objet d’une consultation des instances représentatives du personnel et sera soumise au feu vert des autorités réglementaires compétentes. Si elle est validée, elle pourrait se traduire par une recomposition progressive du paysage télécom français à partir de la seconde moitié de 2025.
Une consolidation à trois têtes pour rassurer le régulateur
Les trois opérateurs affirment que cette opération ne vise pas à affaiblir la concurrence, mais au contraire à stabiliser un acteur fragilisé tout en réinvestissant dans les réseaux stratégiques. L’objectif affiché est de renforcer la résilience du très haut débit, d’accélérer les investissements dans la cybersécurité, et de favoriser l’intégration de technologies avancées comme l’intelligence artificielle dans les infrastructures télécoms.
Mais cette offre conjointe constitue aussi un geste tactique envers le régulateur. En répartissant les actifs entre plusieurs acteurs bien implantés, elle empêche un opérateur unique, français ou étranger, de prendre le contrôle de SFR, ce qui aurait pu déclencher une opposition frontale de l’Autorité de la concurrence. Ce scénario à trois têtes, en évitant tout déséquilibre structurel, s’impose donc comme une solution politiquement recevable et juridiquement plus défendable.
SFR, symptôme d’un modèle sous pression
Au-delà du sort de SFR, cette tentative de reprise illustre les limites d’un modèle économique épuisé. En 2024, Altice France a vu ses revenus B2B chuter de 13,2 %, son activité mobile reculer de 4,3 %, et son EBITDA perdre près d’un demi-milliard d’euros. Si l’ARPU fixe progresse, la dynamique commerciale reste plombée par une érosion de la base d’abonnés. Le recul de l’activité B2B (-13,2 %) illustre aussi les limites du modèle historique d’intégration verticale dans les services télécoms d’entreprise. Le sort de SFR, naguère deuxième opérateur du pays, pourrait ainsi acter une recomposition structurelle du secteur. Une recomposition où la souveraineté des infrastructures, la consolidation industrielle raisonnée et la soutenabilité financière deviennent des enjeux stratégiques majeurs.
Si les infrastructures restent solides, couverture 5G à 83 %, fibre dans plus de 40 millions de foyers, le modèle de rentabilité ne tient plus face à la pression des investissements, aux baisses de prix et à la désaffection progressive des clients. Le montage industriel proposé par Bouygues, Free et Orange ne se limite donc pas à une manœuvre défensive. Il reflète une stratégie de consolidation régulée, pensée pour préserver un équilibre de marché tout en assumant collectivement les coûts de la modernisation du réseau. Une recomposition concertée entre concurrents, et, de ce fait, structurante, et qui pourrait devenir un précédent pour d’autres secteurs sous tension.