Avant de quitter le pouvoir, l’Administration Biden s’empresse de faire passer les décrets et autres lois afin d’assurer la suprématie des techno-industrie étatsuniennes. La loi « Export Control Framework for Artificial Intelligence Diffusion », introduite par le Gouvernement, s’apprête à redéfinir les règles du commerce international des technologies de pointe.

En restreignant l’exportation d’équipements et de technologies essentiels, principalement les GPU et les modèles d’intelligence artificielle avancés, cette régulation suscite d’importants débats.

Cette loi représente une étape décisive dans la rivalité technologique entre les grandes puissances. Toutefois, si elle crée des défis pour les entreprises technologiques, elle ouvre aussi une opportunité unique pour repenser la stratégie technologique de l’Europe et renforcer son autonomie face à une dépendance excessive aux États-Unis.

Les catégories de pays : vers une technologie à géométrie variable

L’Export Control Framework divise les pays en catégories différentes selon leur degré d’accès aux technologies américaines. Les pays alliés stratégiques, comme ceux de l’Union européenne, le Japon ou l’Australie, bénéficient d’un accès quasi illimité, conditionné à des engagements de non-réexportation. Ces pays doivent souscrire à deux exigences formulées ainsi : « Cette flexibilité permet aux juridictions dotées de régimes de protection technologique solides et d’écosystèmes technologiques conformes aux intérêts des
États-Unis en matière de sécurité nationale et de politique étrangère de bénéficier d’achats transparents à grande échelle »
.

Pour des pays comme la France, cette situation ouvre des opportunités importantes pour renforcer leurs compétences dans l’IA. Toutefois, cette dépendance aux technologies américaines pourrait aussi constituer un frein à sa souveraineté technologique. En revanche, les pays jugés sensibles, comme la Chine, la Russie ou l’Iran, font face à des restrictions strictes, voire à une interdiction totale pour certains équipements.

Une Loi critiquée par les géants de l’industrie

Portée par la volonté de protéger les intérêts stratégiques des États-Unis, la loi est critiquée par le Information Technology Industry Council (ITI), qui représente des entreprises technologiques majeures comme Amazon, Meta et Microsoft. Ces acteurs craignent que les restrictions sur l’exportation des technologies réduisent les opportunités commerciales à l’international, tout en compromettant leur capacité à investir dans l’innovation. Selon l’ITI, les GPU de Nvidia, qui dominent près de 95 % du marché des processeurs d’apprentissage profond, pourraient être interdits à des marchés clés.

Les entreprises émettent également des réserves sur l’impact des restrictions pour la compétitivité des États-Unis face à la Chine, qui a récemment intensifié ses investissements dans les semiconducteurs. Pour répondre aux sanctions américaines, Pékin pourrait redoubler d’efforts et développer ses propres solutions, comme le montrent les progrès récents de Huawei avec sa puce Kirin 9000 s.

Vers une souveraineté technologique européenne ?

Paradoxalement, l’Europe n’est pas complètement démunie face aux incertitudes suscitées par l’attitude de Washington. Elle pourrait se voir freinée et stimulée à la fois par cette loi. D’une part, la limitation des flux technologiques pourrait ralentir l’accès à certains composants critiques, augmentant les coûts pour les entreprises européennes. Par exemple, des startups européennes dans l’IA, comme Aleph Alpha (Allemagne) ou Mistral AI (France), dépendent fortement des GPU américains pour entraîner leurs modèles.

D’autre part, cette situation pourrait aussi susciter des initiatives continentales vers une autonomie accrue. L’application de cette loi pourrait inciter l’Europe à redoubler d’efforts pour garantir sa souveraineté technologique. La limitation de l’accès aux technologies américaines expose les faiblesses structurelles des écosystèmes européens, mais pourrait aussi créer un électrochoc nécessaire pour stimuler l’innovation locale.

Les pays européens ont déjà lancé des initiatives ambitieuses, comme l’Alliance européenne pour les processeurs et semiconducteurs, visant à créer une filière locale solide. Le budget de 43 milliards d’euros alloué par l’UE dans ce cadre pourrait accélérer la création de solutions locales et renforcer l’autonomie du continent. La France et l’Allemagne, en particulier, pourraient jouer un rôle moteur dans cette transition, en investissant davantage dans des infrastructures cloud européennes, comme le projet
GAIA-X, et en renforçant leur capacité à produire des semiconducteurs avancés.