La réindustrialisation reste un objectif stratégique affiché, mais une nouvelle étude de RS France alerte sur les paradoxes qui freinent l’innovation dans l’industrie française. La orte mobilisation déclarée, n'occulte pas les infrastructures vieillissantes, les compétences rares et les silos organisationnels persistants. L’équation se complique entre injonction à innover et réalité opérationnelle fragmentée.

L’innovation industrielle est devenue un impératif pour la compétitivité, la souveraineté et la résilience des chaînes de valeur. Pourtant, entre les intentions affirmées et les moyens mobilisés, un fossé persiste dans de nombreux secteurs. C’est ce que met en lumière l’étude menée par RS France auprès de 192 décideurs de l’industrie, de l’énergie et de la construction. Le rapport dessine un paysage contrasté où la volonté de transformation se heurte aux limites structurelles, techniques et humaines des entreprises.

Selon l’étude, 92 % des décideurs interrogés considèrent l’innovation comme essentielle à la survie de leur entreprise. Plus encore, 84 % estiment qu’elle constitue une condition sine qua non de résilience dans un environnement marqué par l’instabilité énergétique, les tensions géopolitiques et les exigences environnementales. Derrière ces chiffres, une prise de conscience collective émerge : sans rupture technologique ni modernisation, les modèles industriels actuels risquent l’obsolescence fonctionnelle à moyen terme.

Les systèmes hérités ralentissent les projets

Les moteurs de cette transformation sont multiples. Les répondants citent en priorité l’amélioration de la performance opérationnelle, la croissance du chiffre d’affaires et la satisfaction client. Mais ils mentionnent aussi des leviers plus systémiques : la capacité à attirer les talents, à répondre aux exigences RSE, ou à accéder à des marchés régulés. L’innovation n’est donc plus cantonnée au produit ou au procédé : elle devient un vecteur de transformation stratégique globale, intégrant les dimensions sociale, réglementaire et environnementale.

Malgré cette mobilisation déclarée, de nombreux freins subsistent. L’un des plus cités reste la faiblesse des infrastructures technologiques. Près d’un tiers des entreprises interrogées évoquent des systèmes hérités qui ralentissent les projets de transformation. L’absence d’outils compatibles avec les technologies émergentes – intelligence artificielle, Internet des objets, cybersécurité – constitue un obstacle récurrent. Elle génère une dépendance à des solutions de contournement peu pérennes, et empêche l’industrialisation des initiatives pilotes.

À cela s’ajoutent des facteurs humains et organisationnels. La pénurie de compétences spécialisées, évoquée par plus de 50 % des répondants, accentue les tensions sur les projets innovants. Les contraintes budgétaires et la résistance interne au changement, quant à elles, ralentissent les arbitrages et diluent les ambitions. Enfin, les silos persistants entre directions opérationnelles, DSI et directions industrielles freinent la circulation de l’information et la gouvernance transverse, pourtant essentielle à la mise en œuvre d’initiatives complexes.

Une innovation encore centrée sur l’investissement matériel

Un signal marquant de l’étude réside dans la nature des investissements jugés prioritaires par les décideurs. Les dépenses en composants physiques – câbles, connecteurs, équipements de test et de mesure – apparaissent en tête des intentions. Cette orientation confirme une tendance observée dans d’autres baromètres : la modernisation passe encore d’abord par l’outillage et l’infrastructure, avant de concerner les couches logicielles et l’intelligence métier.

Cette approche reflète le besoin de fiabiliser l’environnement technique avant de déployer des briques numériques plus complexes. Mais elle traduit aussi une forme de prudence culturelle, où l’innovation reste ancrée dans le tangible. Pour beaucoup d’acteurs industriels, le déploiement d’une plateforme IoT ou d’un système d’IA embarqué suppose d’abord une remise à niveau des lignes de production, des réseaux industriels ou des dispositifs de maintenance.

Un décalage entre la maturité numérique et les attentes stratégiques

Le rapport met en lumière une hétérogénéité forte des niveaux de maturité numérique au sein du tissu industriel. Si certains groupes structurés expérimentent déjà des solutions avancées, la majorité des PME et ETI restent en phase exploratoire. Cette disparité complique l’émergence d’un écosystème unifié et interopérable, capable de porter des innovations à l’échelle. Les plateformes collaboratives, les démonstrateurs technologiques et les hubs régionaux pourraient jouer un rôle d’accélérateur, à condition d’une meilleure coordination publique-privée.

Ce décalage se manifeste aussi dans la gestion des cycles d’innovation. Beaucoup d’entreprises peinent à dépasser le stade du prototype ou du projet pilote, faute de gouvernance adaptée. Les retours d’expérience restent cloisonnés, les outils d’évaluation insuffisants, et les indicateurs de performance mal alignés avec les objectifs stratégiques. Résultat : un sentiment diffus d’inefficacité, qui fragilise la motivation des équipes et l’adhésion des métiers à long terme.

Vers une culture industrielle intégrée de l’innovation

Pour dépasser ces blocages, les auteurs de l’étude appellent à ancrer l’innovation dans une dynamique systémique, continue et collaborative. Il ne s’agit plus seulement de financer des projets ponctuels, mais de structurer un environnement propice à l’expérimentation, à l’itération et à la capitalisation. Cela suppose d’outiller les processus, de former les équipes, de décloisonner les directions et de faire de la donnée un levier transversal. Les technologies émergentes ne suffisent pas sans une culture de l’agilité industrielle et du progrès incrémental.

Les perspectives sont néanmoins porteuses. Les transitions numériques et énergétiques imposent des reconfigurations profondes, mais elles ouvrent aussi des opportunités inédites pour les entreprises capables d’orchestrer leurs ressources avec souplesse. L’enjeu est désormais d’éviter une fracture industrielle à double vitesse, entre pionniers et suiveurs, et de construire des trajectoires d’innovation robustes, inclusives et souveraines.

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