Le 26 août 1991, Linus Torvalds annonçait l’écriture d’un système d’exploitation dérivé de Minix, lui-même clone d’Unix. Linux est né. 25 ans plus tard, le projet de hobby est devenu un OS de référence pour l’entreprise et un standard pour les serveurs. Et une page encore en cours d'écriture de l'histoire de l'informatique.
Démarrer l’histoire de Linux au 26 août 1991 est certes justifié, puisque c’est la date de l’annonce par Linus Torvalds, sur le forum Usenet news:comp.os.minix, de l’écriture d’un OS qui deviendra Linux, mais c’est aussi réducteur, car les travaux de l’étudiant finlandais font suite à une longue gestation de projets destinés à disposer d’un UNIX abordable.
Richard Stallman, Thomas Bushnell, Andrew Tanenbaum
L’histoire de Linux débute en effet à la suite de mouvements dans le développement de systèmes d’exploitation où l’on retrouve des figures célèbres de l’histoire de l’informatique. À commencer par l’incontournable Richard Stallman (photo), le fondateur du mouvement du logiciel libre, qui a dévoilé le 27 septembre 1983 un projet de développement d’un OS compatible UNIX nommé GNU.
Autre figure historique de l’informatique, Thomas Bushnell. Il est l’architecte du projet Hurd, d’adaptation du noyau BSD qui visait la création pour l’Université de Californie d’un OS complet et librement redistribuable. Keith Bostic, chef de file des hackers de l’Université de Berkeley, a également travaillé sur ce projet. Seule difficulté, le code BSD est mélangé avec du code propriétaire UNIX appartenant à AT&T, une situation plutôt inconfortable !
Un autre évènement est venu accélérer le mouvement : depuis le milieu de la décennie 80, le PC s’est imposé sur tous les postes de travail. Or, les systèmes d’exploitation sur PC, MS-DOS, Windows ou encore OS/2, sont propriétaires, payants, et considérés comme chers.
Linus Torvalds, Linux et Tux
C’est donc en 1991, il y a 25 ans, qu’un étudiant de l’Université d’Helsinki se lance dans le développement d’un noyau (kernel) de système d’exploitation dérivé d‘UNIX. Linus Torvalds (photo) a pour référence Minix, un OS créé par Andrew Tanenbaum et destiné à l’apprentissage d’Unix. Mais notre étudiant est plus ambitieux, il crée un noyau aux normes POSIX qui reprend des composants de GNU. La version 0.02 du noyau sera disponible le 5 octobre de cette année.
xReste à lui trouver un nom. Au départ, Linus Torvalds l’appelle Freax. Mais c’est Larry Lemmke, l’administrateur du serveur FTP ftp.funet.fi, qui lui donnera son nom définitif, contraction de Linus et UNIX, Linux. C’est en effet le nom Linux qu’il donne au répertoire dans le serveur qui héberge les travaux de Linus Torvalds. Ce dernier a déposé le nom, qui est donc une marque déposée. Et qui est parfoit associée au GNU, dont le nom qui revient assez souvent de GNU/Linux.
Et pour la petite histoire, Tux (photo), le manchot mascotte de Linux, a été dessiné en 1996 par Larry Ewing.
C’est Ralf Flaxa, président ingénierie de SUSE, l'une des principales distributions Linux, qui nous raconte la suite de l’histoire :
Ce nouveau système d’exploitation a suscité un intérêt dès le départ. Il n’avait derrière lui ni grande équipe ni gestionnaire de projet, mais le choix fait par Linus Torvalds de le rendre disponible gratuitement d’emblée se révéla très judicieux. Linux gagna ainsi rapidement les faveurs des programmeurs du monde entier. Des étudiants et des passionnés entreprirent de le déboguer et d’enrichir ses fonctionnalités, sans autre motivation que de créer un fantastique OS.
Il ne fallut pas longtemps pour que certaines revues consacrées à UNIX, à l’instar de IX en Allemagne, aient vent du nouvel OS. La publication des premiers articles sur Linux éveilla l’intérêt des entreprises. Celles-ci y virent le potentiel d’un système aussi puissant qu’UNIX, mais gratuit et ouvert par nature, et les plus clairvoyantes d’entre elles commencèrent à aider des étudiants à poursuivre son développement.
Alors que les entreprises continuent de s’investir de plus en plus dans l’histoire de Linux, Linus Torvalds reste toujours intéressé avant tout par la technologie proprement dite, et non par les affaires ou la politique. Aujourd’hui encore, il n’accepte aucune modification qui ne réponde à certains critères techniques, quand bien même viendrait-elle du Président des États-Unis ! Souhaitant que le noyau de Linux soit le plus performant possible, il n’admet que le code source allant dans ce sens.
Linux en entreprise
Dès les prémices de Linux, les entreprises espéraient qu’il leur permettrait de bénéficier d’UNIX gratuitement. C’était pourtant encore loin d’être le cas : Linux n’était pas assez robuste et beaucoup de travail restait à accomplir.
Les entreprises étaient désireuses d’étendre et d’adapter leurs systèmes internes, ce qui était difficile pour Windows et UNIX. Par nature, il s’agit de systèmes fermés et rigides, peu à même de répondre à des besoins sortant de l’ordinaire. La dépendance vis-à-vis d’un seul fournisseur représentait également un problème pour les entreprises prisonnières de systèmes UNIX et Windows coûteux.
La situation changea du tout au tout avec la disponibilité de Linux sur d’autres plateformes matérielles que le seul PC, notamment DEC Alpha. Dès lors, Linux devint viable sur le plan commercial et les entreprises purent adopter avec efficacité cette technologie en lieu et place d’UNIX ou de Windows.
Linux changea de statut lorsque les premiers grands équipementiers lui apportèrent leur soutien sans réserve. Sur le plan matériel, l’investissement d’un milliard de dollars par IBM en est un bon exemple, tout comme, sur le plan logiciel, le portage sous Linux du gestionnaire de bases de données Oracle ou des applicatifs SAP.
Au service de la transformation numérique
En dehors de l’aspect technologique, il importe aussi de se pencher plus généralement sur les raisons commerciales de l’essor de Linux. La transformation numérique impacte aujourd’hui profondément les entreprises et leurs infrastructures informatiques. Le volume croissant de données produites par les entreprises et les consommateurs génère un marché particulièrement porteur pour les applications analytiques critiques.
En conséquence de cette évolution, de nombreuses entreprises font migrer leurs données dans le cloud afin de réduire leurs coûts et de rendre leur infrastructure informatique plus efficace. Dans ce contexte, les solutions Linux sont à même d’apporter fiabilité et sécurité, ce qui conduit de nombreux prestataires cloud tels que AWS ou Microsoft Azure à les utiliser dans leurs datacenters.
Dans un avenir proche, Linux sera omniprésent dans les entreprises pour le déploiement d’applications Internet ou le stockage de données. Ses avantages sont clairs : en raison de l’intérêt qu’il rencontre parmi une communauté grandissante de développeurs, ses mises à jour sont plus rapides que celles des logiciels propriétaires et les failles de sécurité sont colmatées promptement.
Linux au quotidien
De par sa valeur intrinsèque, Linux s’est imposé comme l’OS de choix pour l’entreprise. Pour ce qui concerne le grand public, la plupart d’entre nous y ont affaire au quotidien sans le savoir.
Vous conduisez une BMW ? Vous utilisez Linux tous les jours, que ce soit pour la navigation ou encore le système de divertissement embarqué. Un téléphone mobile Android ? Là encore, vous vous servez de Linux quotidiennement, car Android s’appuie sur le noyau Linux, sa maintenance étant assurée par Google. De nombreux autres équipements connectés fonctionnant sous Android font également appel à Linux.
Linux a ainsi envahi toutes les technologies que nous utilisons dans la vie quotidienne, qu’il s’agisse des routeurs sans fil, des box Internet, des superordinateurs ou encore des TV connectées.
Linux de nos jours
En 2016, Linus Torvalds est toujours aux commandes, mais avec à ses côtés une armada qui l’aide à poursuivre l’aventure Linux, différentes équipes étant chargées de la maintenance de chaque sous-système et de gérer l’incroyable quantité de codes.
Chaque contribution ou modification doit être propre et élégante, sous peine d’être rejetée par Linus Torvalds et ses collaborateurs. La pureté du système qu’assure cette approche est sans conteste l’atout numéro un de Linux.
Ces standards et principes essentiels d’ouverture et de gratuité du code source constituent les valeurs qui ont séduit de nombreux développeurs au départ. Désormais, ils garantissent aux entreprises et aux utilisateurs une protection de leur investissement sur le long terme. Aussi, le flux continu d’intégration, d’amélioration et de collaboration internationale engendré par Linux garantit la poursuite de son succès dans les années à venir.
La part de marché de Linux
Il est difficile d’évoquer des parts de marché pour un produit qui est gratuit. Une part de ses déploiements échappe au radar… Le marché des PC est historiquement dominé par Microsoft Windows, avec environ 92 % des PC actifs. La part de Mac OS est d’environ 6 %. Celle de GNU/Linux ne dépasse guère les 1 %, avec un public d’utilisateurs ingénieurs, chercheurs et étudiants.
Sur le serveur, la part de Microsoft Windows Server est d’environ 60 %, celle de Linux avec ses distributions devrait approcher les 18 %. Le reste est dominé par UNIX.