Cependant, réduire le débat à une opposition simpliste entre les pourfendeurs de l’IA énergivore au « pro-IA » occulte l’essentiel : la question de l’impact environnemental des technologies numériques appelle une approche lucide, systémique et rigoureuse.
Une dynamique d’efficience énergétique de l’IA
L’intelligence artificielle n’est pas « verte » par nature. Son empreinte est principalement énergétique et c’est précisément parce qu’elle est virtuelle et dématérialisée qu’elle dépend massivement de l’électricité.Pour autant, cette caractéristique constitue aussi un puissant moteur de progrès. L’énergie représente un coût direct, stratégique et sensible pour les acteurs du secteur. Dès lors, cette pression économique alimente une dynamique constante d’optimisation : conception de modèles plus sobres, transition vers des infrastructures à faible intensité carbone, pratiques de green computing, ou encore valorisation thermique des centres de données.
Plutôt qu’une indifférence coupable, une véritable dynamique d’efficience est à l’œuvre. Elle nécessite néanmoins d’être encouragée et mesurée avec transparence et rigueur.
Objectiver l’empreinte en fonction de l’optimisation des usages
L’empreinte carbone de l’IA ne peut se concevoir isolément, comme une finitude. Les analyses alarmistes comparent souvent la consommation d’un prompt ou d’une génération d’image à un coût « absolu », sans prendre en compte les usages qu’elle remplaceou optimise.
Or, l’IA permet de réduire les recherches Internet répétitives ; de limiter certaines réunions physiques et déplacements ; d’optimiser les chaînes logistiques, les plans de transport, la consommation des industries ; ou encore de modéliser et prévoir pour limiter la consommation dans le bâtiment, l’agriculture ou la production. Il est donc indispensable de raisonner en bilan : économies réalisées moins consommations induites.
Un challenge étendu à l’IA embarquée dans les objets
Un autre aspect rarement évoqué mérite d’être souligné : l’IA ne restera pas cantonnée au virtuel. Elle sera de plus en plus embarquée dans des robots, des véhicules autonomes, des machines connectées. Cette généralisation augmentera la consommation énergétique tout en apportant de nouveaux gains d’efficacité. La question n’est pas « faut-il interdire ? » mais : comment organiser cette coexistence ?Il s’agit de réfléchir dès aujourd’hui aux arbitrages nécessaires, aux standards de traçabilité carbone, aux choix énergétiques structurants.
Favoriser une approche intégrée de l’écosystème numérique
Par ailleurs, se focaliser uniquement sur l’IA permet de se détourner des autres composantes tout aussi déterminantes de l’empreinte numérique : les smartphones et ordinateurs portables, aux matières premières rares et peu recyclées ; les réseaux de télécommunication mondiaux ; les data centers saturés par le streaming vidéo, le cloud gaming ou les blockchains.L’IA s’inscrit dans un écosystème numérique dont l’impact environnemental est global. La sobriété numérique ne pourra pas être sélective : c’est l’ensemble des usages
qu’il faut interroger.
Énergie et développement : choisir plutôt que nier
Il convient de rappeler une réalité essentielle : l’évolution du niveau de vie et du développement humain est indissociable de la consommation d’énergie. Chaque bond de civilisation a reposé sur un accès accru à l’énergie. L’enjeu n’est pas de nier ce lien, mais de choisir : comment produire l’énergie nécessaire ? avec quelles sources ? comment l’utiliser ? avec quelle efficience et quel discernement ?Il est nécessaire d’exiger davantage de transparence de la part des acteurs de l’IA sur leur empreinte carbone. Il est essentiel de quantifier les impacts et de responsabiliser les usages. Mais ces démarches doivent s’inscrire dans une vision globale : mesurer les gains comme les pertes, tracer toute la chaîne de valeur, penser l’ensemble des usages numériques, arbitrer collectivement. Parce qu’au fond, la véritable question n’est pas seulement : faut-il réduire la consommation ? Mais : comment rendre notre développement plus durable ? La technologie, si elle est conçue et régulée avec exigence,
fait partie de la réponse.
Par Fabien Fouissard, Directeur marketing GenAI & AI Advisory chez Fujitsu France