Un agent IA qui détecte les contrats surpayés et relance les fournisseurs pour obtenir une remise, c’est ce que la startup américaine Cribl a mis en place avec le concours de la jeune pousse Zip. L’initiative, qui aurait permis d’économiser près de 3 millions de dollars en un an, constitue un précédent structurant. Pour la première fois, un acteur algorithmique entre dans la boucle de décision contractuelle.

Dans la hiérarchie des processus sensibles en entreprise, la négociation contractuelle occupe une place à part. Réservée aux services juridiques, à la direction financière et à la direction générale, elle échappe en général à toute automatisation. C’est ce verrou que Cribl vient de faire sauter. L’éditeur californien a confié à un agent d’intelligence artificielle le soin de détecter les contrats surpayés et d’en proposer une renégociation automatique. Une première, discrète mais structurante, qui marque l’entrée d’un troisième acteur dans les circuits de validation : l’agent IA.

Cribl, en forte croissance sur le marché du traitement de données, gère chaque année plusieurs centaines de contrats de logiciels et de services. Si les plus importants font l’objet d’une négociation classique, les petits engagements sont souvent validés sans vérification approfondie, faute de ressources humaines. C’est précisément là que se niche la proposition fonctionnelle déployée par l’entreprise. Grâce à un agent développé par Zip, l’un des acteurs montants de l’IA dans les achats, Cribl analyse ses contrats, détecte les écarts tarifaires et propose automatiquement des courriels de renégociation. L’agent rédige les messages, les équipes achats les valident, et les fournisseurs reçoivent des demandes officielles. L’ensemble aurait permis de dégager près de 3 millions de dollars d’économies en un an, selon nos confrères de The Information.

Un tournant dans l’autonomie des agents IA

« Nous n’avons pas le temps de passer au crible chaque petit contrat. L’agent, lui, peut tout évaluer sans relâche », résume Meteb Alfayez, directeur des achats chez Cribl. Le choix est audacieux, il s’agit tout de même de confier à une machine des initiatives habituellement réservées à des cadres expérimentés. Et pourtant, le pari est gagnant. Car c’est précisément sur ces micro-négociations, dispersées et peu visibles, que se concentrent les marges latentes. L’agent agit là où la vigilance humaine fait défaut.

La singularité du cas Cribl ne tient pas seulement à l’usage d’un outil. Elle tient à l’autorisation donnée à un agent IA de déclencher une action de négociation, sur la base d’un raisonnement autonome et d’un seuil de pertinence fixé en amont. Ce n’est plus une automatisation réactive, mais bien une logique proactive, un véritable changement de posture organisationnelle. L’agent initie, l’humain arbitre. Et non l’inverse.

« Ce que nous voyons émerger, c’est une nouvelle boucle décisionnelle dans l’entreprise. Un troisième larron s’invite dans la discussion : l’agent algorithmique, nourri par la donnée et formé à la logique contractuelle », explique Nick Heinzmann, responsable recherche chez Zip, dans un entretien accordé à Art of Procurement. Il ne s’agit pas d’écarter les juristes ou les financiers, mais de redessiner les contours de leur intervention. Ce sont eux qui conservent la validation finale. Mais ils interviennent en aval d’une proposition structurée par une IA spécialisée.

Une architecture hybride à forte contextualisation

L’agent utilisé par Cribl repose sur une combinaison de briques dans une chaîne de traitement. Le moteur de traitement s’appuie sur des modèles génératifs issus d’OpenAI et d’Anthropic. Mais c’est l’intégration fine aux données internes qui fait la différence en incluant les historiques contractuels, les conditions passées, les fournisseurs récurrents… À cela s’ajoutent des bases de données tierces, issues de plateformes comme Vendr ou Tropic, qui permettent à l’agent de comparer les prix pratiqués sur des logiciels similaires.

Ce modèle mixte, à la fois verticalisé et enraciné dans le contexte métier de l’entreprise, constitue un facteur clé de pertinence. « Nous avons consacré plusieurs mois à former l’agent, à ajuster les seuils de déclenchement, à revoir le ton des messages… Cela reste une démarche très encadrée », précise Meteb Alfayez. L’agent n’est pas un automate naïf. Il reconnaît ses limites, indique quand les données sont insuffisantes, et laisse à l’humain le soin de valider chaque action. Mais il est responsable du déclenchement de l’action, et c’est là que réside la révolution.

Vers une orchestration stratégique des fonctions achats

Le déploiement chez Cribl n’est pas un cas isolé. Zip a lancé une suite de plus de 50 agents IA, chacun dédié à une tâche spécifique de la chaîne des achats : analyse de besoin, validation budgétaire, conformité fournisseur, documentation, négociation. Le but est d’orchestrer la fonction achats comme un système, modulaire, contextualisé, et évolutif. Et dans cette logique, l’agent négociateur joue un rôle central, car il incarne le passage d’un traitement à la tâche à un traitement par impact.

Cette dynamique illustre un glissement plus large dans l’architecture des fonctions support. L’IA ne vient plus seulement accélérer ou assister, elle prend en charge, propose, structure. Et dans un domaine historiquement verrouillé comme la gestion contractuelle, cela signe une inflexion majeure. « On voit enfin émerger un ROI mesurable de l’IA, parce que l’agent est positionné là où il capte une valeur réelle, mais négligée », analyse Heinzmann. Cribl a su identifier cette zone grise, et l’a confiée à l’algorithme.

Et demain, des négociations IA contre IA ?

L’émergence de ces agents déclenche une autre question : que se passera-t-il quand les fournisseurs eux-mêmes utiliseront des agents IA pour répondre, négocier, résister ? « Je n’ai pas encore vu cela chez nos partenaires, mais je suis persuadé que cela viendra. Et cela pourrait rendre les échanges plus fluides, plus transparents », anticipe Meteb Alfayez. Ce scénario, encore théorique, ouvre la voie à des négociations IA-to-IA, fondées sur des référentiels communs, des historiques partagés et des règles claires.

Mais il pose aussi une question de fond , à savoir qui détient le pouvoir de décision quand la boucle transactionnelle devient algorithmique. Faut-il encadrer ces interactions par des standards ? Mettre en place des interfaces de supervision ? Garantir des critères d’équité algorithmique ? Le cas Cribl ne répond pas à ces questions, mais il les rend désormais inévitables. L’agent IA n’est plus un gadget d’expérimentation, il devient une partie prenante, et active, de la chaîne de valeur.

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